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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

c’est-à-dire la nature, et point le Sauveur, c’est-à-dire le Dieu de la religion ; il abaisse Dieu en élevant l’homme à la hauteur de Dieu ; Pélage fait de l’homme un être indépendant qui marche seul et sans l’appui de son Dieu. Bref, l’augustianisme n’est qu’un pélagianisme pris rebours, il pose comme sujet ce que celui-ci pose comme objet. Toute leur différence n’est qu’une pieuse illusion : il y a bien identité complète entre le pélagianisme qui met l’homme à la place de Dieu, et l’augustianisme qui met Dieu à la place de l’homme. Ce qu’on prête au Dieu de l’homme, on le prête réellement à l’homme même. L’homme a beau glorifier les qualités de son Dieu, il ne glorifie que les siennes. L’augustianisme serait une vérité opposée au pélagianisme, si l’homme adorait le démon comme Être-Suprême ou Dieu, et cela en ayant la conscience de cette adoration diabolique ; chaque fois au contraire que l’homme adore comme Dieu un être boa et bienfaisant, il fait par là même l’aveu solennel, quoique indirecte de la bonté naturelle de l’essence humaine, et tout cet échafaudage augustinien de la perversité primitive, du fameux péché originel, tombe nécessairement en poussière.

Il en est de même quand on nous parle de la doctrine, identique avec l’augustianisme, qui dit : l’homme ne peut point faire le bien par sa propre force. Cela signifie qu’il ne peut rien faire du tout. Chaque fois qu’on entendra sous Dieu un être moralement actif, moralement critique, un être qui possède au plus haut degré la faculté de discerner entre le bien et le mal de récompenser l’un et de punir l’autre en ce cas on nie si peu l’activité morale de l’homme qu’au contraire on en fait la faculté principale. Ce n’est que le panthéisme et le nihilisme des Orientaux, qui nient notre activité morale en niant l’activité morale de Dieu, en définissant Dieu comme un être indifférent au bien et au mal.

Le grand mystère, ou plutôt le grand secret, de la religion, le voici : l’homme objective son être, et après l’avoir objectivé il se rend lui-même objet de ce nouveau sujet. Dans la religion cette opération se fait d’une manière naïve, immédiate, involontaire pour ainsi dire ; dans la théologie elle se fait d’une manière réflective, spéculative. L’opération dans la religion doit toujours précéder l’autre ; elle est aussi nécessaire que dans l’art et dans la parole, qui sont également deux objectivations de l’être humain. On aura beau dire : l’homme, méchant et mauvais de nature, aspire vers le bien