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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

rance philosophique qu’il soit accompagné. » Leur pensée intime, dit Réaumur, était que pour exciter à la piété il ne fallait pas s’embarrasser des idées exactes. Les théologiens se fâchaient contre Réaumur quand il leur avait prouvé que la prétendue métamorphose des insectes n’était qu’apparente ; elle avait été regardée par les plus célèbres écrivains de l’église comme une image de la résurrection.

Haller considérait les monstres comme des effets surnaturels de la volonté de Dieu, il tance d’impiété l’opinion contraire.

Mais ce que nous pouvons pardonner aux naturalistes et théologiens du passé, nous devons le poursuivre chez nos modernes, ceux-ci n’ayant plus l’excuse de l’ignorance ; nous blâmerons sévèrement ce que M. Hochstetter dit (Botanique popul.) : « Beaucoup d’animaux se nourrissent des petites graines du plantain, donc Dieu, à ce qu’il paraît, l’a fait croître tout le long des chemins et des prairies. » La théologie qui avait de tout temps insisté sur l’origine surnaturelle du langage humain, se sentit comme frappée de la foudre lorsqu’un théologien allemand en 1770 prouva le contraire : Herder, il est vrai, n’était théologien que de métier, son âme, son intelligence étaient celles d’un vrai philosophe, naturaliste et poète, et comme tel il réussit à prononcer la formule suivante : « La langue a été inventée, d’une façon aussi naturelle et aussi nécessaire à l’homme que l’homme est homme : elle n’est point un cadeau venu du ciel. » Les anciens physiciens, du reste, expliquaient si mal ce fait naturel, que les métaphysiciens contemporains préféraient l’interprétation théologique : voilà encore une preuve historique de ce que j’avais dit : « La déduction des choses naturelles d’une cause surnaturelle n’est que l’ignorance où nous sommes sur la cause naturelle », et chaque élargissement du cercle scientifique correspond à un rétrécissement du cercle théologique. Aux yeux du païen classique les phénomènes les plus vulgaires étaient des actes divins, le chrétien ne donna ce nom qu’aux faits extraordinaires. Thomasius et beaucoup d’autres métaphysiciens ou théologiens considéraient, encore au commencement du 18e siècle, l’art d’écrire comme un don directement venu de Dieu : jusqu’à ce que le vieux docteur Heumann (Acta philos. I, 807) les confondit par la simple question : « Dieu n’aurait-il pas mieux fait est apprenant déjà aux hommes de la plus haute antiquité l’art typographique ?  »