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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

care aliquis nolit an nesciat ; deerat illis justitia, deerat prudentia, deerat temperantia ac fortitudo ; » ils n’étaient donc ni justes, ni prudents, ni modérés par principe, comme les stoïciens l’exigent de tout homme raisonnable.

Les païens parlent de la chute de l’homme (Horace, Od. 3 liv. I. Sénèque : a natura descivit luxuria) ; mais ils le font comme si l’état primitif eût été destiné à se changer en un état moins innocent et plus développé. Ils sont trop intelligents pour croire que l’état de la naïveté primitive aurait dû continuer à l’infini et suivant l’ordre formel de Dieu, tandis que dans le christianisme dogmatique cet état n’a cessé que par la ruse imprévue, sinon improvisée, du démon: et remarquez-le bien ce démon lui-même avait été bon au commencement. Les païens philosophes se représentent Dieu comme un être qui, loin de participer à la matière, se concilie avec nous par son essence, par sa nature : dii immortales, qui nec volunt obesse nec possunt (Seneca, De Ira 2, 37), natura enim illis placida et mitis est ; les dieux immortels, selon le chef des stoïciens romains, sont des puissances personnelles, bienfaisantes envers l’homme parce qu’elles ne sont exposées ni aux souffrances, ni aux injures et insultes. Les classes inférieures des païens voyaient dans leurs dieux immortels des êtres passionnés comme elles ; on s’adressait à un dieu quelconque pour obtenir de lui les objets désirés, et ce désir rempli, on lui en rendait grâce ; si le dieu faisait la sourde oreille, on lui grondait mais il n’y avait point de rapport métaphysique, point de relations mystérieuses entre l’âme du bas peuple païen et ses innombrables fétiches. Aux yeux d’un païen élevé dans les écoles stoïciennes, au contraire, la vertu était le Bien absolu sans être toutefois une abstraction, sans être une qualité personnelle ; elle était le bien commun des mortels et des immortels, une force universelle, la source de sa vie morale et intellectuelle. La vertu était à ses yeux la vraie intelligence.

Ce qui révolte le plus tous ces stoïciens, c’est la prétention du christianisme dogmatique de déduire la conciliation de Dieu avec l’homme d’un événement extérieur, d’un fait historique comme l’incarnation du Christ. Comment, disent-ils, vous savez la distance qu’il y a entre votre force individuelle et l’idée du beau, par exemple, et vous n’y voulez pas de médiateur ? Pourquoi vous faut-il un médiateur seulement dans la science, dans l’art de la vertu ? Faites-