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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

ment plus vraie que l’Esprit saint, était par conséquent la Mère de Dieu, un complément aussi logique qu’esthétique de la famille divine. qui prenait de droit la place de la famille terrestre[1].

En observant la nature humaine, nous y trouvons un fait psychologique qui a évidemment servi de modèle au dogme dont je parle ; c’est que l’amour instinctif qu’un fils a pour sa mère, est la première inclination qu’il sent pour un être féminin. L’amour dont il entourera plus tard la fiancée et l’épouse, a son explication et pour ainsi dire sa sanctification précisément dans cet amour filial sans bornes qu’il porta jadis à sa mère ; l’homme ne s’incline devant la femme qu’après avoir pleuré et joué aux genoux de sa mère ; c’est elle qui reçoit nécessairement les prémices de cet hommage qu’il offrira un jour à la femme, c’est elle qui lui reste perpétuellement présente jusqu’à la mort. Un fils peut bien remplacer la mère dans l’âme du père, mais jamais vous ne verrez la mère remplacée par le père dans l’âme du fils ; en termes dialectiques, le fils est inné ou immanent au père, tandis que la mère est innée ou immanente au fils.

Ceci constaté, le culte de la Mère de Dieu devient parfaitement clair[2]. La Trinité montre ainsi aux chrétiens non-seulement un père qui sacrifie son fils sans péché pour leur salut, elle montre aussi, chose encore plus précieuse peut-être, l’âme maternelle avec toutes les profondeurs ineffables de l’amour maternel. La Trinité

  1. M. Amédée Thierry (Hist. de la Gaule, 3) dit : « Il y avait quelque chose de touchant et de bizarre à la fois dans ces mariages de la primitive Église, où les époux se réunissaient pour être séparés, où leur union n’était qu’un mutuel défi de mortification et de continence… Telle fut la vie de Rhéticius, seigneur gallo-romain, dans la cité d’Autun, marié lorsqu’il n’était que laïque, plus tard évêque élu par les chrétiens de la ville. Avant d’expirer, son épouse lui prit la main et lui dit : « Très cher frère, accomplis ma dernière volonté lorsque ta course en ce monde sera terminée, je veux que ton corps soit placé dans le sépulcre à côté du mien, afin que nous reposions côte à côte sous la même pierre, nous qui avons conservé dans le même lit l’amour et la chasteté. » On n’a pas besoin de citer d’autres exemples, les annales du christianisme primitif en abondent comme tout le monde sait : ce qui est essentiel ici, c’est de faire remonter tout ces phénomènes touchants et bizarres à leur source, au lieu de les regarder comme des aberrations exceptionnelles. Il y a une grande et terrible logique dans ces faits ; l’analyse critique doit en prendre acte. (Note du traducteur)
  2. En voici, comme preuve poétique, quelques-uns des plus magnifiques