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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

s’arrêter a moitié chemin : il a renversé lui-même en punition de cette inconséquence. Sit monachus, dit si bien le Pseudo-Bernard (spec. mon.) quasi Melchisedech sine patre, sine matre, sine genealogica, et il ajoute : « Que le moine ne connaisse point de père sur terre ; qu’il se regarde plutôt comme existant tout seul au monde, lui avec Dieu[1]. » Ambroise dit la même chose : « Melchisedech… refertur ad exempum, ut tanquam sine matre et sine patre sacerdos esse debeat : Le prêtre doit vivre comme n’ayant ni père ni mère. – Ce culte de la Sainte-Vierge est trop important pour ne pas exiger encore quelque mots[2].

En 1841, Eusèbe Emmeran, théologien catholique, publia un recueil de légendes et de poésies sous le titre : La gloire de la Sainte-Vierge. Le marianisme y trouve une de ses plus belles expressions ; la tendance du livre est toutefois bien moins une tendance pieuse, chrétienne que poétique et esthétique. Il est assurément permis de greffer un but didactique et pratique sur une tendance poétique ; il faut seulement que le but et la tendance coïncident. Notre théologien allemand ne prouve cependant par son ouvrage qu’une chose : c’est que la vierge Marie est en effet parmi toutes les figures du christianisme la seule divine et positive, la seule qui soit adorable et poétique ; il la représente comme déesse de la beauté, de la nature, de l’humanité et de la douceur, de l’amour, voire comme la déesse de l’émancipation ou de l’affranchissement du dogme. Il cite une ballade espagnole (p. 78, 80) où un Maure chante avec un enthousiasme sans bornes l’incomparable beauté de la gracieuse Reine céleste ; ce mahométan se fait baptiser parce qu’il l’adore, après être resté insensible à toutes les menaces, à toutes les doctrines des prêtres chrétiens. Bovius, dans son recueil de légendes, appelle Marie la reine de la beauté (3, 31). L’Église appliqua à Marie la description de la fiancée qu’on lit dans le cantique de Salomon :Tota pulchra es, etc. « Tu es toute belle, mon amie, ma colombe. » Le cantique de Salomon s’écrie : « Que ton sein est beau, ô ma sœur, ma fiancée chérie (4, 10) ! » Il en est de

  1. Et la célèbre règle des moines chevaliers du Temple : « Vous n’aurez sur Terre ni pais ni repos, vous marcherez et combattrez jusqu’à la mort. » (Le traducteur)
  2. Le traducteur transcrit ici une dissertation de M. L. Feuerbach (1842).