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Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/213

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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

Le principe cosmogonique en Dieu, réduit aux catégories de la logique abstraite, exprime la tautologie suivante : ce qui est différentiel ne peut venir que d’un principe de différence, et point d’un principe simple. Les philosophes et les théologiens du christianisme dogmatique, tout en prêchant leur fameuse création tirée du néant, ont malgré eux cédé à l’évidence inexorable de cette autre thèse logique : rien de rien ; ils ont remplacé la matière préexistante et réelle des philosophes païens par une matière spirituelle, pour ainsi dire. C’est en effet une matière préexistante spirituelle que l’intelligence préexistante de Dieu le Fils, et c’est précisément lui qu’ils appellent le germe, le résumé, la totalité de toutes les choses qui furent créées plus tard. Toute la différence entre eux et leurs prédécesseurs païens se réduit à ceci, qu’ils attribuent a l’univers une éternité imaginaire, idéale, et les païens une éternité matérielle, réelle objective. Selon la philosophie de nos théologiens, l’univers a existé dès l’éternité, non comme un objet des sens, mais comme un objet de l’intelligence subjective de Dieu le Père, et cette théorie est parfaitement d’accord avec leur principe suprême qui est la subjectivité absolue. Spiritualistes, ou plutôt subjectivistes qu’ils sont, ils tournent le dos aux objets réels, ils rejettent comme impie la préexistence de la matière sans s’apercevoir que celle-ci, qui existe dans la pensée de leur Dieu, mérite bien le nom de préexistante. Le seul moyen d’ôter à cette matière en Dieu la préexistence ou l’éternité, ce serait de la faire naître par une idée subite de Dieu, par un coup improvisé et capricieux mais il faut espérer qu’aucun théologien, aucun philosophe du christianisme dogmatique ne voudra adopter cette hypothèse qui serait la déification d’un non-sens humain et fort contraire à la dignité de leur Dieu. Ainsi, il n’y a plus à contredire : l’univers est né de lui-même, comme au reste chaque existence qui est une entité générale, un genre, une espèce ; elle restera toujours inexpliquée, une chose primitive et basée sur elle-même. Croire que l’existence du monde s’explique par un créateur, est une illusion psychologique ; la création, ainsi comprise, ne résout point la difficulté qu’il y a de métamorphoser une entité purement abstraite en un objet matériel. L’être de l’univers est au contraire l’être de Dieu conçu comme réel et matériel, l’être de Dieu est l’être abstrait et idéal de l’univers, et l’acte de la création n’est qu’un acte formel,