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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

loi grossière du devoir, elle est la vertu de la grâce chrétienne ou, ce qui est identique, de la liberté céleste. Et c’est précisément ce qu’il y a là de piquant : « Christus hortatur (il exhorte, comprenez-vous ? il n’ordonne pas la virginité) idoneos ad cœlibatum, ut donum recte tueantur ; idem Christus iis qui puritatem extra conjugium non retinent, praecipit ut pure in conjugio vivant (Melanchthon, Responsio ad Colonienses, Declam. III). » « Virginitas non est jussa sed admonita, quia nimis est excelsa (Serm. 21. De Modo bene viv.). » «  Et qui matrimonio jungit virginem suant benefacit, et qui non jungit melius facit, » dit Ambroise dans son fameux écrit sur les veufs et les Célibataires. Ainsi, c’est convenu :Mariez-vous, vous ne faites pas mal ; ne vous mariez pas, vous faites bien, Le choix ne saurait guère être difficile pour un chrétien, surtout quand Ambroise continue : « Quod igitur bonum est, non vitandum est, et quod est melius, eligendum est ; itaque non imponitur sed proponitur (encore un calembour diabolique). Et ideo bene Apotolus dixit : de virginibus autem praeceptum non habeo, consilium, autem do ; ubi praeceptum est, ibi lex est, ubi consilium, ibi gratia est… praeceptum enim castitatis est, consilium iutegritatis… sed nec vidua praeceptum accipit sed consilium. Consilium autem non semel datum, sed saepe repetitum. » Cela signifie que le célibat n’est pas une loi dans le sens des juifs, mais bien dans celui des chrétiens ; chez ceux-ci l’âme affective est bien plus sensible aux impressions divines et un simple conseil apostolique doit être regardé comme une loi ésotérique, mystérieuse et par conséquent plus puissante que tout le code. Omnia licent, sed non omnia expediunt  ; l’homme dit : licet, le chrétien réplique : non expedit. C’est embarrassant, contradictoire, cela peut faire tourner la tête, mais que voulez-vous ? le christianisme n’est qu’à ce prix-là. Mariez-vous, tant pis pour vous ; vous prouvez ainsi que vous avez besoin d’un remède pour vous défendre contre le péché des péchés, la fornicatio. Il s’ensuit que, quand le christianisme déclare le mariage pour un sacrement, il ment. Le mariage ne serait véritablement chrétien que s’il était un mensonge, comme dans les légendes et les annales des anciens temps, où le prince danois quitte la chambre nuptiale le jour des noces même, où l’empereur germanique vit avec son impératrice comme frère et sœur ; c’est la seule forme de mariage que le christianisme permettrait, s’il vou-