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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

s’ensuit que Dieu existe réellement et non-réellement à la fois, ou, comme s’expriment les sophistes chrétiens, spirituellement. Or, exister spirituellement n’est point autre chose qu’exister en passif étant senti, étant pensé, étant cru. Donc, cette existence de Dieu a cela de singulier qu’elle balance entre existence matérielle et être cru : cette existence est donc un vrai hermaphrodite, une chimère, un composé de contradictions.

Vous pouvez raisonner aussi de la manière suivante : l’existence de Dieu est une existence réelle et physique qui manque de toutes les propriétés naturelles et réelles, elle est donc un être physique non-physique ou réel non-réel, un être qui appartient au domaine des sens et qui en même temps ne lui appartient pas. C’est donc là une existence vague et vide, une existence en général, qui est physique au fond, mais qu’on dépouille de tous les attributs d’une existence réellement physique. On en fait une influence contradictoire en elle-même, puisque l’existence doit être remplie, déterminée, vivifiée par la réalité. Cette contradiction insupportable engendrera nécessairement l’athéisme, comme je vais l’expliquer tout à l’heure, après avoir dit encore deux mots pour compléter cette série de mes déductions.

Jadis le brave naturaliste et jésuite Athanase Kircher, homme très savant et très crédule, énuméra six mille cinq cent soixante-deux preuves de l’existence de Dieu ; mais bientôt la téléologie en fournit davantage à la théologie. On démontra alors Dieu dans les minéraux, les feuilles, les sauterelles, voire dans les monstres et les démons : on eut une litho-, petino-, insecto-, acrido-, monstro-, dæmono-théologie (Schwartz : De usu et præstantia dæmonum ad demonstrandam naturam Dei, 1715) ; Fabricius dans sa pyro- et hydro-théologie, un autre dans une nipho-théologie, d’autres dans des dissertations savantes sur tel organe du corps humain, prouvèrent l’existence de Dieu. Même l’excellent Réaumur, qui se place sur le point de vue objectif, en disant : « Il y a assurément des causes finales particulières qui nous sont connues, mais peut-être y en a-t-il moins que nous ne croyons, » reste encore avec sa pensée dans la catégorie des tendances, du but, de l’utile, catégorie qui empêche toute véritable recherche naturaliste, parce qu’il y a en ce cas le Dieu extra-mondain qui s’interpose entre la nature et le naturaliste. Delà les théories si arides qu’on nomme mécanisme, ma-