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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

témérairement… un même événement miraculeux est parfois revendiqué par la fausse aussi bien que par la vraie religion. » Quelle belle chose que le miracle théologique !

Pascal dit : « Il faut juger de la doctrine chrétienne par les miracles, il faut juger des miracles par la doctrine ; la doctrine discerne les miracles et les miracles discernent la doctrine. Tout cela est vrai, mais cela ne se contredit pas (Pensées sur les mir. I). » Au contraire, tout cela est faux, car tandis que la doctrine contient du vrai, les miracles reposent sur une fiction, sur l’ignorance, ou, mieux dit, sur une manière nonchalante et superficielle de contempler la Nature. On ne se donne pas la peine de lui regarder dans le cœur ; on la prend telle qu’on la rencontre à chaque heure et à chaque endroit, ennuyeuse, triviale, et pour interrompre cette monotonie on y fait jouer les intermezzos du ciel. Et on a tort, cependant, de regarder comme une lettre morte la vie universelle, et de ne vouloir voir l’âme de la nature que dans des faits plus ou moins variés et déréglés qui sautent aux yeux ; on a tort puisque, soit dit en passant, même les exceptions, les anomalies naturelles sont souvent les manifestations de la loi intérieure. « Les étamines dans des familles entières ratent à moitié, les capsules destinées à recevoir les fruits restent vides à moitié, voilà une loi naturelle ; souvent des formes tout à fait inutiles sont produites seulement à cause de la symétrie (Decandolle, Sprengel). » La philosophie humanitaire elle aussi connaît des miracles, mais ce ne sont jamais ceux que la théologie, comme un charlatan, aime tant à annoncer au public ; les miracles devant lesquels la philosophie s’incline, sont les merveilles de l’univers, des sciences et des arts : elle reste debout devant les idoles et les reliques des époques passées.

Cette puissance dite divine, qui, comme par enchantement, saisit l’homme naïf et naturel, soit qu’elle s’appelle force miraculeuse, révélation divine ou autrement, est le commencement de la civilisation. Il serait encore incapable de régler sa conduite d’après les préceptes de l’éthique, de la conscience, de l’intelligence ; il se construit donc de toute cette subjectivité humaine une divinité extérieure et objective, à laquelle il obéit.

La croyance à la révélation fait admirablement bien voir tout ce qu’il y a d’illusoire dans la conscience religieuse. « L’homme, dit-elle, ne peut rien savoir par lui seul sur l’essence de son Dieu, tout