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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

autour de l’homme qui n’a pas encore appris à tourner autour de lui-même.

« Maintenant, que le monde hyperphysique, cette vérité transcendante, s’est évanoui et évaporé à jamais, l’heure est venue pour établir la vérité terrestre, le monde naturel et humain, politique et social : voilà la tâche dévolue à l’Histoire. La tâche de la philosophie, qui travaille au service de l’Histoire, est de continuer l’ouvrage de sa critique : après avoir démasqué la figure sacro-sainte dont l’aliénation du Moi égaré s’était affublée, la philosophie doit maintenant pousser plus loin, elle doit arracher aussi sans retard tous les masques profanes, pour y flétrir encore ce qu’elle avait déjà flétri plus haut : l’aliénation, l’aberration du Moi égaré et devenu étranger à lui-même : par-là la critique du ciel devient une critique de notre terre, la critique de la religion se transforme en critique du droit, et la critique de la théologie en critique de la politique[1]. »

La religion en général est nécessairement un chaos rempli de contrastes et de contradictions, car elle est l’ensemble de toutes les qualités et fonctions essentielles de l’homme et de l’univers ; elle est par conséquent aussi favorable à la démocratie qu’au despotisme. Elle parle d’un Dieu, père des hommes, qui est tout amour et liberté, et un instant après elle parle d’un Dieu, maître absolu des hommes, qui est tout autorité et esclavage ; et la paternité divine même renferme déjà la patria potestas du droit romain, élément extrêmement antilibéral, qui n’est rien autre chose que l’obéissance aveugle en politique. La conséquence est que la religion fait dépendre le salut éternel des âmes de son cérémonial, absolument comme l’État fait dépendre le salut temporel de ses formalités juridiques ; celle-là établit des devoirs envers les dieux, celle-ci envers les rois ; mais ces devoirs sont en contradiction avec ceux qu’on doit à l’homme ; l’une pour sanctionner les barbaries qu’elle commet, prétexte les conseils impénétrables de ses dieux ; l’autre pour justifier les brutalités qu’il se permet, nous parle de je ne sais quels ineffables motifs d’une indicible importance politique ; l’une immole la raison, l’autre le droit naturel.

  1. Fin de l’intercalation.  (Le traducteur)