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tribue une véritable personnalité, il faut lui attribuer aussi la faculté de se penser lui-même faculté que possède tout individu humain. En se pensant et se laissant penser, ce Dieu a donc une conscience de son moi indépendante de la nôtre, comme chaque individu humain a une conscience indépendante de celle d’autrui ; c’est l’anthropopathisme religieux dans sa plus haute expression ; car, enfin, ne serait-il pas plus grandiose d’attribuer à Dieu, outre le pouvoir de penser et d’être pensé qu’il partage avec l’homme, encore un autre pouvoir non humain, le pouvoir de se penser dans la pensée humaine qui le pense ? Sans doute, mais la religion ne va pas si loin ; d’après elle, Dieu pense, se pense lui- même, et est pensé par nous ; elle traite son Dieu comme si c’était un simple mortel. Ne me dites pas : La religion considère Dieu comme un être qui pense dans la pensée humaine : c’est là une concession que la religion ne doit pas se permettre ; et si elle la fait, elle ne sait pas ce qu’elle fait, chose qui lui arrive souvent.

Dieu signifierait-il quelque chose sans son univers ? Oui, mais il ne serait pas Dieu dans toute l’étendue du terme ; sa toute-puissance, par exemple, ne se manifeste, ne se réalise que par et dans une création. Et encore cette toute-puissance se pourrait-elle manifester convenablement dans un univers où il n’y eût pas de genre humain ? Ainsi, l’homme ne peut se passer de Dieu, et Dieu ne peut se passer de l’homme ; il en est de même quant à toutes les autres qualités divines, sagesse, amour, etc. « Dieu a besoin de nous, nous avons besoin de lui, a dit le frère prêcheur Tauler (p. 16). Voyez la Dogmatique chrétienne par M. David Strauss, I, 47.

Dieu, en effet, a besoin de l’homme pour sentir entièrement sa divinité : les péchés humains forment un contraste avec la sainteté divine, il en résulte pour Dieu un sentiment de satisfaction ; le repentir humain touche le cœur paternel de Dieu, l’âme endurcie dans le vice provoque sa colère, la misère humaine fait triompher la miséricorde divine. A chaque qualité intellectuelle de l’homme répond une qualité intellectuelle de Dieu : il en est de même quant aux qualités morales et aux qualités physiques. Ainsi, c’est dans l’homme que Dieu se manifeste, s’explique, se déploie se réalise.

Je défie la théologie de me montrer une qualité essentiellement humaine qui ne soit divine, une qualité divine qui ne soit humaine : Ainsi, Bonum est communicativum sui, dit le vieux apopthegme :