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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

yeux du croyant, quand il brandit le glaive vengeur sur la tête de l’infidèle.

La foi est donc essentiellement partiale ; elle doit l’être à moins de se détruire elle-même. « Celui qui n’est pas pour le Christ est contre le Christ », dit l’évangéliste, et, certes, je ne lui en fais pas un reproche du point de vue historique ; remarquez toutefois que les docteurs du dogme, loin de reconnaître la nécessité temporaire qui dicta ce verset comme plusieurs autres que j’ai cités plus haut, ne cessent de prêcher que la Bible est un livre éternel, ils la compromettent par là au lieu de la justifier. Certes, je le répète, les apôtres et les évangélistes avaient parfaitement raison au point de vue historique ou politique et social, de s’insurger avec toute leur indomptable énergie contre le vieux monde ; mais il est enfin temps d’y apporter la lumière d’une sévère et impartiale critique.

La foi ne connaît que deux sortes d’hommes, ses amis et ses ennemis, elle ne pense qu’à elle-même, elle est une forme de l’égoïsme. Dans son essence, elle est intolérante et elle doit l’être elle ne doit pas tolérer qu’on fasse le moindre outrage à la majesté de son Dieu. Ce Dieu, c’est elle-même objectivée, c’est la foi qui s’est devenue objet à elle-même. Qui dit foi dit Dieu, comme dit le prophète Zacharie : « Quiconque vous offense, offense la prunelle du Seigneur. » Tenerrimam partem humani corporis nominavit, ut apertissime intelligeremus eum (Deum) tam parva sanctorum contumelia laedi, quam parvi verberis tactu humani visus acies laeditur (Salvian. I, 8 de gubern. Dei). Violez la foi, et vous violez la majesté divine. La foi, d’après le commandement : « Tu ne dois pas avoir plusieurs poids et mesures » ne reconnaît en effet qu’une seule distinction : à droite, le culte orthodoxe, à gauche, l’idolâtrie. Elle ne donne l’honneur qu’à son Dieu : « Je dis que les païens quand ils présentent des offrandes, les présentent aux démons et point à Dieu. Or, je ne veux pas que vous viviez dans la société des démons (Epit. aux Corinth. I, 10, 20). » Les démons sont autant de négations des qualités divines, ils haïssent Dieu : la foi est aussi incapable de comprendre ce qu’il y a de vrai et de bon au fond de l’idolâtrie même. Elle procède sommairement « Qui n’est pas pour moi, celui-là est contre moi » ; les polythéistes devront donc ou se convertir ou se laisser exterminer. La tolérance envers les infidèles serait ici de l’intolérance envers Dieu : « Car il faut que tout genou fléchisse au