Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/439

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
427
L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

qu’avec la renaissance des sciences naturelles et des beaux-arts, ou ce qui revient ici au même, avec la décadence de la foi dogmatique. Ce n’est que depuis peu de temps qu’on a commencé à s’expliquer par des raisons positives, psychologiques, logiques, physiologiques, politiques et autres, ce que l’antiquité chrétienne et le moyen-âge orthodoxe avaient fait directement dériver du Démon. L’amour humain, la fraternité humaine, en un mot l’humanisme remplace ainsi peu à peu le dogmatisme, ou plutôt le christianisme. Sans les dogmes chrétiens, il n’y a plus de christianisme.

Ainsi, l’amour fraternel a son équivalent dans la raison, il est identique avec elle. La raison et la fraternité sont d’essence universelle, la foi est d’essence bornée. La raison, c’est l’amour universalisé. Qui des deux a inventé l’enfer, de la fraternité rationnelle ou de la foi ? Cet enfer, qui est un non-sens aux yeux de la raison, et une atrocité aux yeux de la fraternité, de la véritable charité. On ferait une grande absurdité en ne voyant dans l’enfer que simplement une extravagance de la foi, qu’une foi égarée ; l’enfer flambe dans toutes les religions, mais ces flammes sont plus violentes, plus sataniques dans les religions monothéistes de la Bible, du Coran et du Talmud, que dans les autres religions et cela doit être. Plus la divinité est concentrée et majestueuse, plus elle est jalouse et vengeresse : c’est logique. L’unité divinisée devient inévitablement tyrannie. On s’y laisse souvent prendre par le côté lyrique et dithyrambique ; et, en effet, il n’y a rien de plus grandiose que l’élan que notre imagination prend dans ses descriptions du Dieu trinitaire d’Allah, de Jéhovah ; l’âme affective aussi s’y mêle avec toutes ses couleurs chatoyantes, avec toutes ses oscillations sans nombre. Ne dites pas non plus que la Bible ne parle pas encore de l’enfer : elle doit en parler, car la foi religieuse reste toujours et partout identique avec elle-même : à moins que vous ne confondiez les éléments de la raison avec ceux de la foi, en affaiblissant par là l’une et l’autre.

Ainsi donc, comme la foi ne contredit pas le christianisme, celui-ci ne se trouvera pas non plus scandalisé, ni par des sentiments qui naissent de la foi, ni par des actes qui naissent de ces sentiments.

La foi condamne et frappe : par conséquent, toute action, toute opinion qui contredit l’amour, l’humanité et la raison, est nécessairement agréable à la foi. Toutes les horreurs, tous les cannibalis-