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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

véhicule de la grâce divine, et tout autre objet naturel, le sable, la cendre, pourrait aussi bien servir si la toute puissante grâce de Dieu eût daigné le choisir. Voilà un double sens donné au baptême, qui en devient un véritable contresens. De cette contradiction insupportable nous ne pouvons sortir qu’en regardant le baptême comme un symbole de la signification de l’eau même. Le baptême, d’après mon interprétation dialectique, veut représenter l’effet merveilleux et en même temps naturel que l’eau exerce sur l’homme. Je dis, veut : car cette représentation s’est faite d’une manière assez maladroite.

Quand nous considérons la nature comme nous le devons, de la hauteur de l’intuition universelle qui embrasse tous les objets et chacun, quand nous la considérons, dis-je, en philosophes naturalistes qui basent leur sens philosophique sur les cinq sens et sur l’observation, alors nous ne manquons pas de découvrir un autre monde dans le monde présent, et nous nous étonnons d’avoir vécu si longtemps sans nous en apercevoir. Nous trouvons alors, entre autres, que beaucoup de ce que nous étions habitués à appeler dédaigneusement trivialités, banalités, porte en soi le vrai sens : ainsi, par exemple, tant de proverbes et de préceptes de l’antiquité recommandent sous une forme religieuse aux peuples primitifs le soin de la propreté, les bains dans de l’eau vive. L’eau exerce en effet non-seulement des effets physiques sur l’homme, mais aussi des effets intellectuels et moraux. Notre pitoyable éducation, à la fois pédantesque et fantastique, scolastique et religieuse en même temps, a fini par nous hébéter ; nos sens ne s’ouvrent plus à la nature universelle, et notre sens intérieur, notre bon sens en dépérit. Voilà où en est l’homme sous la pression théologique : il se récrie contre le sain naturalisme, qui seul pourra lui rendre la santé intégrale, et par elle la sainteté ; non la sainteté imaginaire et transcendante du paradis théologique, mais la sainteté humanitaire, c’est-à-dire la bonté et la force.

L’eau ne lave pas seulement les souillures de la peau, mais elle dissout aussi les entraves de la pensée ; l’onde ne rafraichit pas seulement nos membres, elle éteint aussi l’ardeur infernale du désir. Bien des saints de l’Église ont pu à l’aide de l’eau triompher des tentations charnelles du Démon ; en d’autres termes, ce que la grâce surnaturelle leur refusa, la qualité si naturelle, si prosaïque