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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

ne peut pas déjà jouir de tous les résultats de la passion divine, mais il sait aussi que nos souffrances terrestres, loin d’être un martyre institué pour acquérir le salut éternel, n’ont qu’un sens moral et point un sens religieux comme dans le catholicisme. Il en résulte que la foi, selon Luther, s’adresse directement à l’homme et nullement à quelque chose en dehors de nous.

Jésus a été le Christ, mais ce n’est pas le point principal ; le Christ a été tué par des pécheurs, ce n’est pas non plus le point principal. Le luthéranisme reconnaît que ce drame mystérieux a été joué à cause de l’homme ; il humanise, pour ainsi dire, la tragédie divine. Écoutez Luther (XXII, 105) : « Réfléchissez bien, qu’avons-nous accompli dans le papisme ? nous y avons établi que le Christ est à la fois dieu et homme, et nous avons nié qu’il est mort pour nous. Oui, nous l’avons nié à tout prix. Vous dites, Dieu le Christ a souffert ; mais cela ne suffit point. Dites plutôt le Christ a souffert à cause de vous et pour vous (XVIII, 459). Dieu, qui est le Christ, n’est point le Christ pour plaire à lui-même ; il ne l’est que pour nous. (XXII, 193) Tout, je vous dis absolument tout, ce que nous énumérons dans la foi, s’est fait à cause de nous, en notre faveur, pour notre salut individuel, et bien que ces grands mots pour nous, ne soient pas précisément écrits dans le symbole apostolique, vous devez les insérer dans tout et partout, et l’article III : Je crois que les péchés seront remis, etc., en donne suffisamment la preuve » (125).

Cette phrase de Luther explique d’une façon assez claire la différence qui existe entre le luthéranisme et le catholicisme. La foi ancienne — qui le nierait ? — contient déjà tout ce que Luther dit, mais elle le contient sans le prononcer ouvertement, populairement, décisivement. Ce mystique réformateur allemand a trahi les secrets de la foi ; il a élevé à la hauteur du texte ce qui n’avait été dans l’Église romaine qu’une glose, qu’une note, et il n’a pas tort quand il s’écrie : « Me voici, celui qui a pris la lumière de dessous le boisseau pour la placer là-dessus, c’est moi. » Les Nicéens qui avaient dit : « Dieu est devenu homme pour nous, auraient pu ajouter qu’il est Dieu, créateur tout-puissant, pour nous aussi, esprit saint pour nous aussi, qu’il est donc pour nous tout ce qu’il est. Dieu ne serait point dieu, s’il était assis dans le ciel tout seul avec lui seul, comme une bûche de bois, » dit Luther.