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RÉPONSE À UN THÉOLOGIEN

d’induire que l’homme, pour puiser dans les objets la conscience de lui-même, a besoin de s’en faire une représentation illusoire. M. J. Muller se trompe ; les objets observés et reconnus par l’homme sont bien autant de miroirs dans lesquels se reflète l’être humain, mais ils ne sont point pour cela des entités non-réelles, et la connaissance que nous en avons n’est point purement subjective. Un exemple : Paul est minéralogiste, il a embrassé la minéralogie de toute son intelligence et de toute son âme, il ne vit que pour elle ; eh bien ! si vous ne le savez pas, vous ne savez pas non plus qui est Paul ? Or, l’enthousiasme scientifique de Paul pour la minéralogie, pour la pierre morte, est, ce me semble bien, une manifestation essentielle de l’être humain, de sorte que l’être humain en étudiant la minéralogie s’y reconnaît comme être minéralogique : mais en conclure que la minéralogie ne mérite que d’être appelée une illusion, ce serait une singulière erreur.

Ma préface, née de l’analyse que j’avais fait subir à la religion, contient la phrase suivante : « Il faut rigoureusement distinguer, quand nous parlons des choses réelles, entre la conscience et la conscience du moi, mais quand il s’agit de l’objet de la religion, les deux consciences ne font qu’une. » Cette phrase est un résultat du livre même, et je ne sais pas trop pourquoi M. J. Muller la qualifie d’axiome prématuré et anticipé ; peut-être s’y est-il laissé prendre parce qu’il l’a lue à la tête de mon livre et non à sa fin… ?

Il me reproche d’innombrables exagérations, entre autres d’avoir dit dans ma préface : « La religion ignore ses anthropomorphismes, ceux qu’elle contient ne le sont point à ses yeux. » et il veut me réfuter en disant : L’auteur, quand il lit que le Christ appelle la terre l’escabeau des pieds de Dieu, voudrait-il par hasard en conclure que le Christ et les apôtres auraient représenté Dieu sous une forme humaine ? » Mon critique ne pense qu’à sa théologie, mais il se trompe de me croire aussi théologien que lui, et je le prie de voir dans mon livre une tendance un peu plus élevée, plus générale, une tendance philosophique. Certes, j’ai été assez souvent obligé de diriger ma polémique contre les descriptions si mesquines que la théologie donne de son Dieu, mais je ne l’ai fait qu’en passant. Un homme peut même perdre ses pieds et ses mains, sans cesser d’être homme, et j’avoue franchement d’avoir plutôt pensé, en écrivant la phrase qui le choque si inopinément, à la conscience