Page:Feugère - Les Femmes Poètes au XVIe siècle, 1860.djvu/221

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
MADEMOISELLE DE GOURNAY.

ces grandes gloires ; elle les réfute avec humeur. Les licences de ces poètes, qui vont parfois jusqu’à rendre certains mots méconnaissables, n’ont, au jugement de leur apologiste, rien que de légitime et de naturel. En somme, toutes ces critiques ne sont, à l’en croire, que des scrupules vains de petits esprits entichés des règles de la grammaire et incapables de rien apercevoir au delà. Ces correcteurs qui, pour quelques nonchalances de langue ou de rime, osent s’attaquer à des œuvres si plantureuses et si riches, ce sont des pauvrets qu’elle raille de leur insuffisance ; quant à elle, son opinion est que la poésie, dont elle se fait une plus haute idée, ne doit pas s’abaisser à mendier l’approbation des fats et des ignorants ; que les suffrages des connaisseurs sont seuls dignes d’elle ; en un mot, qu’il lui convient « non de mugueter la faveur publique, mais de la ravir. »

Relativement au langage, mademoiselle de Gournay pense qu’il faut bien se garder d’en élaguer l’abondance et de vouloir, à l’imitation des censeurs raffinés qu’elle combat, resserrer le nombre des mots. Tout au contraire, comme Montaigne, elle tient à conserver tous ceux qui se trouvent chez nos poëtes, bien plus, tous ceux qui courent par les rues de Paris, en n’exceptant que les grossiers. N’était-ce pas l’avis de Fénelon, qui, de même que mademoiselle de Gournay, souhaitait ne rien perdre ? Celle-ci allègue, à l’appui de son sentiment, les témoignages de Coëffeteau, de Duplessis Mornay, de l’auteur d’Astrée, « ce bréviaire des dames, » Honoré d’Urfé, qui, dans leurs écrits si goûtés du public, avaient protesté par leur exemple contre la sé-