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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

Ores qu’il[1] s’est gorgé d’une herbe venimeuse,
Pour dépouiller sa peau, de vieillesse hideuse,
Repoli de jeunesse, au soleil des beaux jours,
Il sourd[2] à pas glissants et roüe en mille tours :
Son chef se dresse en l’air tressaillant d’insolence
Et sa langue à trois dards de la gueule s’élance…


Le désespoir et les fureurs de Didon abandonnée ont surtout inspiré dans le quatrième livre un langage plein de chaleur à mademoiselle de Gournay. La passion qui circule dans tout cet admirable épisode ne lui est pas restée étrangère : elle se reflète en plusieurs vers fortement frappés, par exemple, lorsque Didon adresse au guerrier troyen ces terribles adieux[3] :


Tu n’as point, déloyal, pour mère une déesse ;
Dardan n’est pas le tronc de ta feinte noblesse :
Mais le mont de Caucase, affreux en âpreté,
Du flanc de ses rochers t’a jadis enfanté.
Mes pleurs ont-ils fait naître un soupir en sa bouche ?
A-t-il daigné fléchir cette œillade farouche ?
A verser une larme ai-je plié son cœur ?
A-t-il plaint son amante en si triste langueur ?…


Cette véhémence ne se dément pas dans le reste du discours : il suffirait seul pour prouver que mademoiselle de Gournay sentait la poésie et n’était pas incapable d’en rencontrer l’accent.

Ajoutons encore quelques vers, empruntés aux dernières plaintes de Didon qui va mourir, passage

  1. Alors qu’il…
  2. Du verbe sourdre, sortir.
  3. V. 365-371.