Page:Feuillet Echec et mat.djvu/10

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OLIVARES.

On pourrait susciter au duc quelques démêlés avec l’inquisition.

LE ROI.

Songez, Olivares, que je ne voudrais pas le jeter dans un péril sérieux.

OLIVARES.

Comment Votre Majesté peut-elle supposer ?… le duc, un ami à moi !

LE ROI.

Duc, est-ce que je n’entends pas ?… (Il va à la fenêtre de côté.)

OLIVARES.

En effet, sire, un carrosse entre dans la cour du palais.

LE ROI.

Aux armes du duc.

OLIVARES.

Oh ! l’excellente vue qu’a Votre Majesté.

LE ROI.

C’est elle, enfin !… après trois mois d’ennuis mortels… Allez, laissez-moi, Olivares.

OLIVARES.

Sire, il me restait cependant quelque chose d’important à vous dire.

LE ROI.

Plus tard, plus tard ; allez, allez. Non pas par là. (Montrant le fond.) Vous pourriez la rencontrer, et vous savez qu’elle est facile à effaroucher. Par ici. (Montrant la porte latérale. — Olivares sort.)


Scène IV.

LE ROI, LA DUCHESSE.
LA DUCHESSE, apercevant le roi et s’arrêtant sur le seuil de la porte au fond.

Sire, veuillez me pardonner ; mais passant par cette chambre pour me rendre aux ordres de la reine, j’ignorais l’honneur qui m’était réservé d’y rencontrer Votre Majesté. (Elle va pour continuer sa route.)

LE ROI.

Eh bien ! que faites-vous ? vous passez ainsi.

LA DUCHESSE.

La reine a eu la bonté de me faire dire qu’elle m’attendait avec impatience.

LE ROI.

Et qui donc plus que moi, madame, peut être empressé de saluer votre retour ? Duchesse, ne soyez point assez cruelle pour ne m’apparaître que comme un regret. Et puisque cette occasion d’un entretien que je cherche depuis si longtemps m’est offerte par le hasard…

LA DUCHESSE.

Sire, je ne crois point au hasard.

LE ROI.

Ah ! ne souffrirez-vous pas que je vous dise la joie que j’éprouve de vous voir enfin sortie de captivité ?

LA DUCHESSE.

De captivité ? Je ne vous comprends pas, sire. (Ils descendent la scène.)

LE ROI.

Sans doute. Est-ce donc de votre plein gré, madame, que vous êtes demeurée si longtemps dans cet exil ?

LA DUCHESSE.

Et qui m’y aurait forcée, je vous le demande ?

LE ROI.

Madame, c’est être bien généreuse envers le duc.

LA DUCHESSE.

Généreuse envers le duc ?…

LE ROI.

Oui, qui de son côté ne se pique pas de générosité envers vous, car il semble avoir juré de détruire à la cour tous les souvenirs qu’y ont laissés votre grâce et votre esprit.

LA DUCHESSE.

Le duc, sire ? Entendons-nous bien : est-ce de monsieur d’Albuquerque que vous me parlez ?

LE ROI.

Et quel autre appellerais-je ingrat ?

LA DUCHESSE.

Et son ingratitude consiste… (Avec un peu de curiosité piquée.) Voyons, sire ?

LE ROI.

Mais à s’en aller répéter partout, avec sa feinte bonhomie, des propos étranges, où il vous affuble de je ne sais quels goûts campagnards et presque ridicules, de je ne sais quelle humeur de provinciale achevée, pour expliquer la prison où il vous retient.

LA DUCHESSE, à part.

Ah ! monsieur le duc ! monsieur le duc ! (Haut.) Et puis-je savoir, sire, quelle sérieuse occupation a empêché le duc de me recevoir à mon arrivée ?

LE ROI, ironiquement.

Une fort sérieuse, duchesse. Il passe une revue.

LA DUCHESSE.

Ah ! il passe une revue ?

LE ROI.

De mes gardes.

LA DUCHESSE.

De vos gardes. Où cela ?

LE ROI.

À Alcala.

LA DUCHESSE.

Ah ! Et quand reviendra-t-il ?

LE ROI.

Mais demain, je présume. J’ai donc la conscience de ne lui faire aucun tort en vous demandant le sacrifice de quelques-uns de vos instants.

LA DUCHESSE.

Autrement, Votre Majesté ne se le pardonnerait jamais, n’est-ce pas ?

LE ROI.

Me refusez-vous ?

LA DUCHESSE.

Ce serait mal rentrer en cour que d’y débuter par un acte de désobéissance envers Votre Majesté. (À part.) Ah ! monsieur le duc !

LE ROI.

Belle duchesse… (En ce moment on entend des cris et une musique militaire sur la place du palais.)

LA DUCHESSE.

Qu’est-ce que cela, sire ?

LE ROI.

Rien, madame ; quelques bohèmes qui passent. Depuis trois mois…

LA DUCHESSE.

Mais, sire c’est sur la place du palais.

LE ROI.

Voyons, refusez-vous de m’écouter ; quand depuis trois mois… trois siècles…

LA DUCHESSE.

Mais en vérité, sire, c’est une aubade qu’on vous donne. Voyez donc…

LE ROI, allant à la fenêtre de droite, à part.

C’est insupportable. (Haut.) Voyons. Ah ! c’est un régiment de mes gardes qui rentre en ville, et qui s’est arrêté devant le palais.

LA DUCHESSE.

Mais il me semble qu’il y en a plusieurs, sire.

LE ROI, la ramenant au fauteuil.

Nous n’en serons que mieux gardés. Belle duchesse…

LA DUCHESSE.

Sire, monsieur d’Albuquerque. (Les cris et la musique cessent.)


Scène V.

LE ROI, LE DUC, entrant vivement par le fond ; LA DUCHESSE.
LE ROI.

Le duc !

LE DUC.

Sire, pardon. Madame la duchesse…

LE ROI, embarrassé et dépité.

Mon cher duc, je remerciais la duchesse d’avoir bien voulu se rendre au désir de la reine en revenant à la cour. Elle me demandait de vos nouvelles, et je lui disais que vous passiez la revue de mes gardes à Alcala. Je croyais que cette revue ne faisait que commencer, duc ?

LE DUC.

Sire, sur la demande de messieurs vos gardes, je les avais convoqués pour six heures du matin, afin de leur épargner la grande chaleur du midi.

LE ROI.

Mais cela ne m’explique pas, duc, comment vous revenez avec eux ; à moins que ce ne soit pour conquérir ma capitale.

LE DUC.

Sire, tout au contraire ; c’est pour vous rendre une province qui menace de vous échapper.

LE ROI.

Vous voulez parler du Portugal ?