Page:Feuillet Echec et mat.djvu/8

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Eh bien ! Olivares, que dis-tu de ce mariage ?

OLIVARES.

Sire, qu’il vous conduit à votre but tout aussi sûrement qu’un autre moyen.

LE ROI.

Je l’espère comme toi. (Olivares se retourne pour regarder Albuquerque en riant. Ils sortent par le fond.)


Scène XI.

MEDIANA, LE DUC.
LE DUC, touchant l’épaule de Mediana, qui a suivi des yeux la reine et qui demeure absorbé dans ses pensées.

Mediana, je ne sais si vous êtes comme moi ; mais je me défie toujours d’un homme qui me fait du bien quand je ne lui connais pas d’intérêt positif à m’en faire.

MEDIANA.

Duc, le roi sait apprécier vos services et vous le prouve.

LE DUC.

Poète ! Au reste, ce n’est pas le seul motif de ma défiance : avez-vous remarqué l’air rayonnant du duc d’Olivares, de ce ministre inquisiteur ? Un inquisiteur qui rit, croyez-vous que ce soit gai pour les autres ?

MEDIANA.

Pourquoi mêler le comte-duc à vos affaires ?

LE DUC.

Poète ! Et le roi, l’avez-vous jamais vu d’une humeur si enjouée ?

MEDIANA.

Sans doute, il a fait bonne chasse.

LE DUC.

Hein ! comment l’entendez-vous ?

MEDIANA.

Mais le plus naturellement du monde.

LE DUC.

Et ce sourire d’Olivares ? Allons, comte, vous vous doutez pourquoi Olivares souriait, n’est-ce pas ?

MEDIANA.

Vous plaisantez, duc, je ne m’en doute pas.

LE DUC.

Voyons, franchement, est-ce par amitié pour moi que vous feignez d’ignorer tout ce qui se passe ?

MEDIANA.

Mais qu’y a-t-il donc ?

LE DUC.

Allons, je vois bien qu’il faut vous le dire. Il y a, mon cher comte, eh bien ! il y a que le roi aime ma femme, et que le premier ministre le sert dans ses amours

MEDIANA.

Impossible !

LE DUC, lui touchant l’épaule en souriant.

Poète ! (Le rideau tombe.)



ACTE II.



Scène I.

OLIVARES, assis à la table de gauche, sonnant ; DIEGO.
DIEGO, entrant.

Qu’ordonne Son Excellence ?

OLIVARES.

N’y a-t-il personne dans la galerie ?

DIEGO.

Le capitaine Riubos, Excellence, est arrivé à onze heures précises comme d’habitude pour faire son rapport à monseigneur.

OLIVARES.

Comme d’habitude ? pour faire son rapport ? Vous devenez observateur, monsieur Diego.

DIEGO.

Monseigneur, comme je vois tous les jours don Riubos venir à la même heure…

OLIVARES.

Monsieur l’huissier, vous êtes trop clairvoyant, Souvenez-vous que pour bien remplir certaines places ; et la vôtre est du nombre, il faut sinon être un sot, du moins le paraître. Allez, faites entrer don Riubos.

DIEGO.

Capitaine, Votre Seigneurie peut entrer.


Scène II.

OLIVARES, toujours assis ; LE CAPITAINE, essoufflé, entrant par le fond.
OLIVARES.

Prenez votre temps, capitaine, prenez votre temps.

LE CAPITAINE.

Votre Excellence m’excusera ; mais depuis trois mois que j’ai reçu ce maudit coup d’épée, il est de fait que j’ai l’haleine courte.

OLIVARES.

De sorte que vous ne vous souciez pas de renouer cette conversation avec le duc d’Albuquerque.

LE CAPITAINE.

Pourquoi pas ?

OLIVARES.

À merveille ! J’espère, capitaine, que vous avez sur vous vos tablettes ?

LE CAPITAINE.

Elles ne me quittent jamais, Excellence.

OLIVARES.

Et depuis hier, les avez-vous enrichies de quelque fait intéressant ?

LE CAPITAINE.

Votre Excellence peut en juger.

OLIVARES.

Voyons. (Il tend la main pour prendre les tablettes.)

LE CAPITAINE.

Pardon, monseigneur, mais j’ai l’écriture la plus bizarre du royaume.

OLIVARES.

Lisez donc.

LE CAPITAINE, tirant ses tablettes avec gravité.

C’était hier 27 juin de l’an de grâce 1641, le treizième du règne de Sa Majesté Philippe IV, et le quarante-troisième de mon âge.

OLIVARES.

Passons, Riubos.

LE CAPITAINE.

Bien déjeuné à neuf heures, au café de la place Mayor, sans incident ; dîné en compagnie de plusieurs militaires et étrangers de distinction. L’un d’eux, qui s’était, posé en mécontent, s’étant échauffé à propos de l’administration de Votre Excellence, je l’excitai, de façon qu’il se compromit gravement. Je sortis pour l’attendre à la porte. Voyant que je me levais, il se leva, et me suivit ; arrivé dans la rue, je voulus l’arrêter ; lui, de son côté, étendit la main et me saisit au collet. Une explication s’ensuivit. Il me dit qu’il était attaché à la police de Sa Majesté ; je lui répondis que je n’étais pas étranger à celle de Votre Excellence ; sur quoi, nous étant salués avec la courtoisie qu’on se doit entre gentilshommes, nous tirâmes chacun de notre côté.

OLIVARES.

Ceci est sans intérêt. Passez, Riubos, passez.

LE CAPITAINE.

Pendant la nuit, jeunes filles enlevées, trois ; femmes surprises par leurs maris, dilo ; alguazils tués, six ; voleurs arrêtés, zéro.

OLIVARES.

Je vous avais recommandé une surveillance toute particulière à l’égard de certains personnages. (Il se lève.)

LE CAPITAINE.

Ah ! très-bien, monseigneur. Le duc d’Albuquerque est parti à cinq heures du matin pour aller passer la revue des gardes à Alcala.

OLIVARES.

Allons, pas mal.

LE CAPITAINE.

Votre Excellence m’encourage. Comme on envoyait ce matin le duc passer une revue à trois lieues d’ici, un messager partait pour Herrera, chargé d’un ordre positif de la reine qui rappelle la duchesse à la cour. La duchesse arrivera donc au palais au moment où le duc arrivera sur le champ de manœuvres ; coïncidence notable, si j’ose dire toute ma pensée.

OLIVARES.

Décidément, capitaine, vous êtes une sommité dans votre genre.

LE CAPITAINE.

Les dames me l’ont dit quelquefois, monseigneur.

OLIVARES.

Les dames ? seriez-vous galant, capitaine ?