Page:Feydeau - Le Juré, monologue, 1898.djvu/18

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me prouver tout ce qu’il veut, je suis inflexible ! C’est comme ça qu’on fait de la justice indépendante ! Sans quoi, qu’est-ce qui arrive ? le premier accusé venu vous démontre par A + B qu’il est innocent, ses arguments sont irréfutables : vous voilà troublé, vous vous laissez aller ; vous oubliez que cet homme est condamné par l’opinion publique, ce qui est le point de vue supérieur auquel on doit toujours se placer et vlan ! vous l’acquittez ! C’est déplorable !

Mais ceci est tellement vrai, tenez, qu’hier, on jugeait un crime sans retentissement. Les journaux n’en avaient pas parlé, impossible d’appliquer mon système ! donc bien m’a fallu me contenter des débats ! J’étais perdu ! "Fallait-il condamner, fallait-il acquitter ?…" Et ce qu’il y a de mieux, c’est que tous les autres jurés étaient un peu comme moi ! Nous nous consultions du regard dans la salle des délibérations : la première moitié était pour la condamnation, l’autre pour l’acquittement ! il fallait se décider !

Alors un des jurés a fait cette proposition : "Puisqu’il y a ballotage, que ceux qui ne sont pas absolument fixés sur leur opinion passent à l’autre bord ! " Eh bien ! après le second vote, ça a été absolument la même chose ! Seulement, cette fois, c’était la première moitié qui était pour l’acquittement et la deuxième pour la condamnation. Alors, ma foi pour trancher la difficulté, on a décidé de s’en remettre au