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Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 1, 1948.djvu/196

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Édouard. — Par d’autres ?

Charançon. — Ah ! non, ce n’est pas gentil !

Édouard. — Mais vous savez, Charançon, nous n’avons rien à nous reprocher.

Charançon. — Allons ! voyons ! c’est de votre âge !

Édouard. — Je vous assure que non ! Je vous jure sur votre tête !…

Charançon. — Ah ! non ! vous savez… ne touchez pas à ma tête !

Édouard. — Eh bien, sur ma tête, je vous jure qu’il ne s’est rien passé.

Charançon. — Ne dites donc pas ça, vous vous feriez passer pour un imbécile !

Édouard. — Ah ! vous êtes dur ! D’abord, je ne l’aurais pas fait, rien que pour vous !

Charançon. — Pour moi ! Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ? Ah bien ! je m’en fiche pas mal !

Édouard. — Hein ? vous… vous…

Charançon. — Tiens, parbleu !…

Édouard, après l’avoir un instant considéré avec ébahissement. — Ah çà ! voyons, qu’est-ce qu’il dit ? Qu’est-ce qu’il dit ?

Charançon. — Ah ! c’est égal, mon bon, si ma femme savait ça, qu’est-ce qu’elle penserait de vous ?

Édouard, à part, vivement. — Sa femme ! mais il ne sait donc rien…

Il pousse un soupir de soulagement.

Charançon, le prenant familièrement par les épaules. — Dites donc, cachottier ? Votre "madame Édouard", je dois la connaître ? hein ? Qui est-ce ?

Édouard, vivement. — Non, non, vous ne la connaissez pas !

Charançon. — Ah ?… comment s’appelle-t-elle ?

Édouard. — Euh !… Marie…

Charançon. — Non, son nom de famille ?

Édouard. — Oh ! ça, impossible.

Charançon. — Allons ! Voyons ! c’est entre nous !… il n’y a que moi qui le saurai.

Édouard. — Merci, ça suffit !

Charançon. — Pourquoi ne voulez-vous pas me le dire ? Vous avez peur que je le répète ?

Édouard, avec conviction. — Oh ! non… (Avec embarras.) Non, mais vous comprenez, c’est une femme mariée… alors la… discrétion…

Charançon. — Ah ! c’est juste… une femme mariée, vous ne pouvez pas… c’est évident… c’est évident… (Changeant de ton.) Eh bien ! Dites-moi le nom du mari.

Édouard. — Tiens ! vous êtes bon, vous.

Charançon. — Oh ! oui, ça m’amusera !

Édouard. — Non, non, ça ne vous amuserait pas !

Charançon. — Si, il doit avoir une bonne tête.

Édouard, à part. — Oh ! le malheureux ! s’il savait ! (Haut.) Je vous en prie, Charançon, ne riez pas, je n’ai pas envie de rire.

Charançon. — Là ! là ! il ne faut pas vous désespérer ! Quoi ? le mari ne sait rien ?

Édouard. — Oh ! non.

Charançon. — Eh bien ! alors, vous connaissez le dicton : "Quand on le sait, c’est peu de chose, quand on l’ignore, ça n’est rien !" Eh bien ! il l’ignore, c’est rien du tout…