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Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 1, 1948.djvu/203

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Le Président. Vous n’y voyez pas d’inconvénient ?

Charançon. — Aucun ! Je sais l’affaire.

Le Président. — Vous avez la parole.

Charançon, s’avançant à la barre. — Messieurs, la cause que nous avons à défendre est des plus simples. Ma cliente aurait — je dis : "aurait", car ceci reste à prouver — aurait frappé un officier public dans l’exercice de ses fonctions. Eh bien, admettons que la chose soit vraie, mais, messieurs, considérez au moins dans quelles circonstances les faits se sont produits. Cet attentat peut-il être considéré comme public ? Non, messieurs !… il est d’ordre privé. Ma cliente était en cabinet particulier avec monsieur. Eh ! mon Dieu ! elle est jeune, elle est jolie, c’est son droit.

Édouard. — Brave garçon.

Charançon. — Le seul fautif dans tout cela. (Se retournant vers Caponot.) N’est-ce pas lui, ce Caponot ? Ce commissaire maladroit qui, abusant de son privilège et, qui sait ?… peut-être pour satisfaire quelque curiosité malsaine… se fait ouvrir un cabinet particulier où deux pauvres amoureux étaient venus chercher un refuge discret à leurs amours ! Comprenez-vous leur colère lorsqu’un importun vient tomber comme un pavé dans leur tête-à-tête… et même, qui sait ? dans quel moment psychologique… Enfin, mettez-vous à leur place, monsieur le Président.

Le Président. — Non !

Charançon. — C’est-à-dire qu’ils ont été sublimes ! Oui, sublimes de calme et d’abnégation !

Édouard, bas. — Charançon, tu vas trop loin ! tu vas trop loin !

Charançon. — Laisse-moi (Continuant.) Ma cliente a un amant, oui, messieurs ! mais est-ce sa faute si son cœur a besoin d’affection ? Est-ce sa faute si elle a dû chercher ailleurs ce qu’elle n’a pas pu trouver chez elle ? Eh ! messieurs, les femmes sont ce que les maris les font… et si vous saviez ce que c’est que son mari ?

Édouard, suppliant. — Je t’en prie ! Charançon ! glisse sur le mari ! glisse sur le mari !

Charançon. — Laisse-moi tranquille. (Continuant.) Mais c’est moins que rien, son mari, un de ces hommes qu’on ne saurait assez flétrir.

Édouard. — Je t’en prie, glisse, glisse !

Charançon. — Enfin, messieurs, pour tout dire…

Édouard, se levant, au président. — Monsieur le Président, ne l’écoutez pas. Ce mari n’est rien de tout ça ; c’est une nature noble, grande, généreuse.

Charançon. — Eh ! vous l’entendez, Monsieur le Président ! Il le défend, le mari ! Quelle noblesse de sentiments ! Eh bien, sur cet homme, jugez la femme. "Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es." Tel est cet homme, telle est ma cliente !

Applaudissements dans l’auditoire.

Le Greffier. — Chut !

Charançon. — Et c’est cette femme-là que le tribunal voudrait condamner ! C’est elle que ce commissaire accuse de l’avoir frappé. Et d’abord pourquoi n’est-il pas là pour nous le dire, ce commissaire ?

Caponot, se levant. — Il a des rhumatismes.

Le Président. — Il aurait tout de même bien pu se déranger !

Charançon. — Il prétend qu’il a été giflé ! Mais qu’il nous la montre, sa gifle ! Enfin il nous faut des preuves.

Caponot. — Des preuves ? Parbleu ! comment voulez-vous pour une gifle ? Mme Édouard m’en a donné une. Est-ce que je peux la prouver ?