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Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 1, 1948.djvu/225

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René. — Henriette ! si tu voulais nous marier ensemble ?

Henriette. — Ah ! je ne peux pas… j’ai promis.

René. — Toi !

Henriette. — Oui, j’ai promis à papa que je l’épouserai.

René. — Mais on n’épouse pas son père !…

Henriette. — Pourquoi donc ?…

René. — Parce qu’il est de votre famille.

Henriette. — Quoi ! il a bien épousé maman ! il me semble que c’est bien de sa famille.

René. — Ah ! oui, mais ça, c’est permis… on peut épouser sa femme !

Henriette. — Maintenant tu sais, si papa veut ! moi je ne demande pas mieux.

René. — Oh ! tu verras comme je serai un bon mari… jamais je ne donne des coups, moi… ou très rarement ! Mais tu ne peux pas espérer, n’est-ce pas ?

Henriette. — C’est évident… Papa lui-même m’en donne, des claques, quand je ne suis pas sage ! ainsi !

René. — Mais oui, ça c’est la vie…

Henriette. — Dis donc, mais pour ça, il faut que papa veuille… s’il ne veut pas que je devienne ta femme, s’il tient à ce que je sois la sienne…

René, avec une certaine importance. — Ma chère, vous êtes une enfant ! Quand vous aurez comme moi onze ans, que vous aurez l’expérience de la vie, vous ne direz plus de enfantillages pareils !

Henriette. — Ah ! vraiment, monsieur ! Alors, je suis un bébé, tout de suite !

René. — Non ! mais tu es jeune !… Eh bien ! tu sauras que quand même on pourrait épouser son père… et ça je ne crois pas que ce soit possible !… je ne vois pas d’exemple, en tous cas, il n’y a pas moyen lorsqu’il a déjà une femme.

Henriette. — Quelle femme ?

René. — Ta maman…

Henriette. — Oh ! maman… c’est pas une femme, c’est maman ! ! !

René. — Ça ne fait rien ! Ça compte tout de même ! Et vois donc ce que ça ferait ! Si tu épousais ton papa, tu deviendrais la maman de ton petit frère…

Henriette. — C’est vrai pourtant… et je deviendrais ma maman aussi à moi ! puisque je serais la femme de papa… et que je suis sa fille !

René. — Il n’y aurait plus moyen de s’y reconnaître !

Henriette. — Non, mais me vois-tu ma maman à moi ! Ce que je me gâterais !

René. — Oui, mais enfin du moment que ta maman vit, tout ça tombe dans l’eau…

Henriette. — Alors il faudrait que maman soit veuve pour je puisse épouser papa ?

René. — Au contraire, il faudrait que ce soit ton papa qui soit veuf…

Henriette. — Oui ! enfin maman serait partie au ciel… Oh ! pauvre maman… Oh ! comme le monde est méchant, il veut que la femme meure pour qu’on puisse se marier avec son mari… Oh ! c’est mal, c’est très mal !…

René, la prenant dans ses bras. — Voyons, ma petite Henriette, calme-toi… sois un homme comme moi… je ne pleure jamais, regarde… et tiens, je te dis, épouse-moi… c’est ce qu’il y a de mieux !… Avec moi il n’y a pas besoin que personne meure… et puis tu verras… je serai si gentil !…