Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 1, 1948.djvu/227

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René. — Maintenant tu es ma femme, tu portes mon nom…

Henriette. — Comment ! je ne m’appelle plus Henriette… je m’appelle René ?…

René. — Mais oui, madame René !

Henriette. — Ah ! que c’est drôle ! Madame René ! moi ! Ah ! allons-nous être heureux ! D’abord nous n’apprenons plus de fables ! Tu en apprendras si tu veux parce que l’homme doit travailler pour la femme ! mais pas moi ! Et puis tu me mèneras au théâtre ! Aux premières, comme papa et maman à l’Opéra !… à Guignol !

René. — Hum ! Guignol ! Guignol ! Je n’aime pas beaucoup qu’on voie ma femme dans tous ces endroits-là ! Et puis tout cela dépend ! si papa me met au collège ?…

Henriette. — Tu es mon mari ! j’irai avec toi !

René. — On n’y reçoit pas les dames… et moi, tu comprends, il faut que j’y aille, si je veux être militaire.

Henriette. — Militaire, toi !

René. — Oui ! je veux me mettre général, comme mon oncle !

Henriette. — Eh bien ! alors, je me ferai cantinière… on les reçoit là, les dames.

René. — Je ne te dis pas ! Mais non ! c’est assez d’un militaire dans un ménage.

Henriette. — Dis donc et tu me donneras des diamants, des voitures, des joujoux !

René. — Ah ! moi je veux bien ! mais c’est cher tout ça !

Henriette. — Oh ! bien, nous sommes riches ! Et puis nos parents nous donneront ! Qu’est-ce que nous avons enfin ?

René. — Moi, j’ai dix francs d’un côté, vingt-cinq francs que mon oncle m’a donnés, quarante-huit sous dans ma tirelire et soixante-quinze centimes dans ma poche !

Henriette. — Oh ! oh ! dix francs, tu dis, et quarante-huit sous… Qu’est-ce que ça fait dix francs et quarante-huit sous… dix et quarante-huit ?

René. — Cinquante-huit… tu sais, avec les dix, c’est très facile.

Henriette. — Bon ! 10 et 48, 58 quoi ? Sous ou francs ?

René. — Ah bien… je ne sais pas… francs, ça vaut toujours mieux.

Henriette. — Tiens, comptons chacun de notre côté… (Ils écrivent sur leurs ardoises.) Tu dis 10 francs, 25 francs, 48 sous et 75 centimes, et moi j’ai 9 francs.

René. — Bien…

Ils comptent chacun sur leur ardoise.

Henriette. — 9 et 5, 14.

René. — 0 et 5, cinq.

Henriette. — 14 et 8… 15 et  ?…

René. — 13.

Henriette. — 15 et 13… 31.

René. — Et 18…

Henriette. — Et 18… (Comptant sur ses doigts.) 63, 64, 65.

Ils continuent à compter en marmottant.

Henriette. — Et 9… 133…

René. — 26 et 4… 35.

Henriette. — 156… et 8, 153.

René. — Là, ça y est ! Je trouve 97, et toi ?