Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 1, 1948.djvu/239

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pas ? (Geste approbatif de la tête chez Follbraguet.) C’est le dernier travail du pauvre défunt.

Follbraguet. — Ah, oui ! le dernier dentiste… avant moi

Mme Dingue. — Oui. Je lui avais demandé de l’extra, parce que je ne sais pas si vous êtes de mon avis, je trouve que le premier attrait d’une femme, c’est d’avoir de jolies dents.

Follbraguet. — Du moment qu’on peut y mettre le prix.

Mme Dingue. — N’est-ce pas ?

Follbraguet. — Ce n’est pas un dentiste qui vous dira le contraire.

Il baisse le fauteuil.

Mme Dingue. — Oh ! où vais-je ?

Follbraguet. — Ne vous inquiétez pas ! Vous êtes arrivée.

Mme Dingue. — C’est exquis !

Follbraguet. — Eh bien ! mon Dieu, madame, c’est une dent à remettre. Seulement ça demandera quelques jours. En êtes-vous pressée ?

Mme Dingue. — Oh ! j’ai mon numéro deux, celui de tous les jours, et en attendant…

Follbraguet. — Oui, celui-là, c’est les dents du dimanche.

Mme Dingue. — Oh ! non, j’ai horreur de m’endimancher, mais quand je vais en soirée ou dans un grand dîner… Je n’ai pas de soirée ni de grand dîner en perspective.

Follbraguet. — Parfait, alors ! (Ouvrant la porte sous tenture.) Monsieur Jean, s’il vous plaît.

Voix de M. Jean. — Voilà Monsieur, tout de suite.

Follbraguet, derrière son bureau ouvrant son agenda. — Si vous voulez me donner votre nom et votre adresse.

Mme Dingue. — Madame Dingue… Iza… Iza Dingue… 8, rue Bugeaud.

Follbraguet, achevant d’écrire.Mme Iza Dingue… 8, rue Bugeaud… « Mniam, mniam, mniam » à réparer.

Mme Dingue. — Comment « Mniam, mniam, mniam » à réparer ?

Follbraguet. — Oui, c’est pour moi que je mets ça ; je me comprends. Vous ne tenez pas, n’est-ce pas, à ce que si quelqu’un ouvre mon livre par hasard, il trouve : « Mme Dingue, râtelier à réparer. »

Mme Dingue. — Ah ! non !…

Follbraguet. — Alors « mniam, mniam, mniam », je sais ce que ça veut dire, et les profanes ne comprennent pas.

Mme Dingue. — Ah ! c’est très ingénieux.

Follbraguet. — Oui, toujours dans ces cas-là !… Il n’y a pas que vous comme ça. (Feuilletant son agenda.) Tenez là… Madame Rethel Pajon. « Mniam, mniam »… une incisive à ajouter.

Mme Dingue.Mme Armand Rethel-Pajon ?

Follbraguet. — Oui.

Mme Dingue. — Oh ! mais je la connais très bien. Comment, elle a un râtelier ?

Follbraguet, affolé. — Oui…hein ? non ! non !

Mme Dingue. — Comment, mais « mniam, mniam, mniam » ?

Follbraguet, vivement. — C’est une erreur, ce n’est pas elle.

Mme Dingue. — Oh ! n’ayez crainte, je serai discrète.

Follbraguet. — Oh ! je vous en prie, n’abusez pas d’une étourderie. D’ailleurs, discrétion pour discrétion… vous entendez bien.