Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/154

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Armandine. — Quel âge as-tu ?

Victor. — Dix-sept ans.

Armandine. — Dix-sept ans ! Tu es gentil, tu sais.

Victor, rougissant et baissant la tête. — Oh ! madame !

Armandine. — Ca te fait rougir ? Il paraît même que ça te fait plaisir.

Victor. — Oh !… oui !… venant de madame !

Il ferme les yeux sans oser en dire davantage.

Armandine, lui donnant une caresse sur la figure. — Eh bien ! je ne m’en dédis pas, tu es très gentil !…

Victor, au moment où la main d’Armandine lui passe sur la bouche, dans un moment d’égarement la saisit de ses deux mains et la baise avec frénésie.

Armandine. — Eh bien ! qu’est-ce que c’est !

Victor. — Oh ! pardon, madame !

Armandine. — Tu ne t’embêtes pas, mon petit !

Victor. — Oh ! madame, je n’ai pas su ce que je faisais. Je n’ai pas blessé madame ?

Armandine, gagnant la droite. — Pas trop !… il y a des impertinences qui ne blessent pas les femmes.

Victor. — Madame ne le dira pas au gérant. Ca me ferait flanquer à la porte !

Armandine, riant. — Hein ! si j’étais méchante !

Elle s’assied sur le canapé.

Victor. — Ah ! c’est que quand j’ai senti la main de madame, si chaude, si douce, sur ma joue… ça m’a donné comme un tremblement, tout s’est mis à tourner !… Songez, madame, que j’ai dix-sept ans, et depuis que j’ai dix-sept ans, je ne sais pas… tenez, madame, que j’en ai des clous qui m’en poussent… Oui, madame, là ! en v’là un dans le cou qui commence. J’ai montré ça au médecin qui a quitté l’hôtel ce matin, il m’a dit : "Mon petit, c’est la puberté."

Armandine, assise sur le canapé. — La puberté ! Qu’est-ce que c’est que ça, la puberté ?

Victor. — Je ne sais pas ! Mais il paraît que j’ai l’âge d’aimer… Ah ! je m’en apercevais bien que c’est la sève qui me travaille.

Armandine. — Oui, oui, oui…

Victor. — Alors, quand madame est venue comme ça… Oh ! madame ne m’en veut pas ?…

Armandine, se levant. — Mais non, mais non !… la preuve, tiens, voilà trois francs.

Victor, les trois francs dans la main. — Trois francs !

Armandine. — C’est pour toi.

Victor. — Oh ! non ! non ! non !

Il les pose sur la table.

Armandine. — Comment !

Victor. — Oh ! non ! pas de madame ! pas de madame !

Armandine. — Mais voyons !…

Victor. — Oh ! moi qui en donnerais bien sept avec pour…

Armandine. — Pour ?

Victor, interloqué et retenant des sanglots qui lui montent à la gorge. — Pour rien, madame ! (Changeant de ton.) Voilà le gérant, madame.

Il remonte en courant.