Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/18

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Dufausset. — À ce prix-là, je crois bien… Si je m’attendais à cela, par exemple !… Quand je pense qu’à Bordeaux, quand je chante, on me dit : "Ferme ça, tu vas faire pleuvoir !"

Pacarel, toujours assis. — Eh ! bien, vous allez signer ce petit engagement que j’ai eu soin de rédiger… il est de dix ans… (Dufausset prend une des chaises qui entourent la table et s’assied à côté de Pacarel.) Ça m’est égal puisque je le repasserai à l’Opéra. Nous disons 3.500 d’un côté et 40.000 de l’autre. Là ! voilà qui est fait… "Devant nous X et X…", nous mettrons les noms plus tard, "ont comparu les sieurs Pacarel, Etienne, François, fabricant de sucre par l’exploitation des diabétiques, d’une part, et Dujeton…"

Dufausset — Qui ça, Dujeton ?…

Pacarel — Mais vous ! Ce n’est pas votre nom ?

Dufausset — Dujeton !… C’est un nom de théâtre, ça !

Pacarel. Ah ! c’est votre nom de… Mais alors comment vous appelez-vous ?

Dufausset. — Dame ! comme mon père…

Pacarel. — Je pense bien ! mais encore…

Dufausset, — Dufausset, parbleu !

Pacarel, se levant ainsi que Dufausset qui va replacer sa chaise auprès de la table. — Dufausset !.. N’achève pas, malheureux… j’ai compris… Dufausset est ton père !…

Dufausset. — Eh ! bien oui… puisque je vous le dis ! (À part.) Qu’est-ce qu’il a ?…

Pacarel, au public. — Dufausset son père, il a un fils ! lui un homme marié, père de famille !… Oh ! quelle honte !… Ah ! il ne me l’avait jamais dit… Voilà donc un fruit de sa débauche !…

Dufausset. — C’est mon père qui m’a dit : va trouver Pacarel…

Pacarel. — "Mon père." Il te permet de l’appeler ton père…

Dufausset. — Dame ! c’est logique…

Pacarel. — Et tu es sûr que c’est bien ton père ?

Dufausset. — Dame !

Pacarel.- Mais qu’est-ce que dit sa femme ?

Dufausset. — Qu’est-ce que vous voulez qu’elle dise ?

Pacarel. — Est-ce qu’elle sait que tu es son fils ?

Dufausset. — Maman ?… (À part,) Tiens, est-il bête !

Pacarel. — Maman !… Elle te permet de l’appeler maman ?… (À part.) Pauvre femme !… Elle endosse… elle légitime !… c’est de l’héroïsme !…

Dufausset. — Ils ont beau dire ; ils sont tout de même un peu braques dans la famille !

Pacarel. — Mais le fils… que dit le fils… de te voir prendre dans la famille, une place qui n’appartient qu’à lui seul ?

Dufausset. — Le fils !… Quel fils ?

Pacarel. — Mais le fils de ton père…

Dufausset. — De mon père ?… Papa a un fils ?

Pacarel. — Parfaitement, je l’ai connu il y a treize ans. Il avait douze ans… il est beaucoup plus petit que toi…

Dufausset. — Un fils… mais de qui ?…

Pacarel. — Eh ! parbleu, de sa femme ! Tu ne l’as jamais vu ?…

Dufausset. — Jamais !

Pacarel. — Serait-il mort ?

Dufausset. — Ah ! C’est trop fort ! je vais écrire à papa.

Il fait un mouvement vers la gauche.