Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/221

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à ce que Lucien ne voie pas son uniforme. — Ça est bien un poulet qu’il vous faut ?

Lucien, sèchement. — Oui !

Bretel. — Dis donc, Monsieur, ça pleut dehors… Est-ce que je peux t’y prendre le parapluie ?

Lucien. — Eh ! oui… Allez !

Bretel sort.

Scène XIII

Lucien, Dora

Lucien. — Voyons, Dora, écoute-moi !… Tu es une enfant… Je te dis qu’il n’y a rien de changé dans mon amour pour toi… C’est ma situation qui n’est plus la même… Enfin, veux-tu que je te dise… je suis ruiné !

Dora. — Ruiné ?

Lucien. — Absolument !… C’est là ce que je t’écrivais, ce matin… Tiens, tu pourras lire ma lettre.

Dora. — Alors, c’est parce que tu es ruiné que… Ah ! quel bonheur !

Lucien. — Je te remercie de l’intérêt que tu prends à mon désastre.

Dora. — Non… je veux dire : ça n’est pas parce que tu ne m’aimes plus que…

Lucien. — Oh ! Pouvais-tu le penser ?

Dora. — Et comment ça t’est-il arrivé, mon pauvre Lucien ?

Lucien. — Eh ! bien, tu sais, l’appât du gain… J’avais engagé ma fortune dans des spéculations qui devaient me rapporter de gros bénéfices… Un coulissier, qui est très fort, m’avait dit : "Il y a un gros coup à faire dans les…" … Mais ça ne t’intéresserait pas… C’est de la Bourse… tu n’y comprendrais rien !…

Dora. — Mais si ! mais si !… je comprends très bien… Moi aussi, j’ai mes petites économies que je fais valoir… Eh ! bien, dans les quoi… voyons ?

Lucien. — Eh ! bien, dans les fonds Calédoniens.

Dora, se dressant. — Les fonds Calédoniens !… Ah mon Dieu !… mais, moi aussi, j’ai presque tout dans les fonds Calédoniens ! Alors, je suis ruinée !…

Lucien. — Hein, tu… (à part) Eh ! bien, je tombe bien !… (haut) Mais non, mais non… tu n’es pas ruinée.

Dora, très agitée. — Comment, non !… Si tu perds, moi aussi !… Et l’on me trompait !… On me disait que cela montait tous les jours !

Lucien, vivement. — Mais justement !… Moi, je jouais à la baisse.

Dora. — Hein ?

Lucien. — Alors, plus ça montait, tu comprends ?… plus je dégringolais !… voilà.

Dora. — Oui !… ah ! merci.

Lucien. — Il n’y a pas de quoi.

Dora. — Si tu savais combien j’ai eu peur !… Te perdre et perdre mes valeurs en même temps, ça aurait été trop à la fois.

Lucien. — Oh ! oui… moi, je suffis bien…

Dora. — Mon pauvre Lucien ! Comment vas-tu faire ainsi, tout seul ?… Car tu as raison, je n’ai pas le droit de te rester à charge… Oh ! ne t’inquiète pas de moi, je trouverai bien à me pourvoir…

Lucien — Oui ?