Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/234

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Rigolin. — Ah ! bon merci !

Gentillac. — Parce que je ne suis ici que comme invité… l’amphitryon, c’est Fauconnet, tu connais Fauconnet ?

Rigolin. — Qui ? le banquier ?… Ah bien, si je le connais !… Il m’a même mis dans une affaire il y a deux ans… l’affaire du phylloxérifuge… tu as peut-être entendu parler de ça… une machine pour détruire le phylloxera ?

Gentillac. — Non !… Ca a pris cette affaire-là ?

Rigolin. — Non !

Gentillac. — Ca ne détruisait pas le phylloxéra ?

Rigolin. — Si… seulement ça détruisait la vigne avec… Ca m’a coûté vingt-cinq mille francs !

Gentillac. — Vingt-cinq mille francs !… Et à Fauconnet alors ?

Rigolin. — Oh ! lui, ça lui a rapporté deux cent mille francs !

Gentillac. — C’est juste ! Je fais des questions naïves !

Il remonte à gauche.

Bamboche, assise sur le bord de la table. — Vingt-cinq mille francs ! Si tu n’aurais pas mieux fait de me les donner !

Rigolin, allant à elle. — Ah ! si j’avais pu prévoir !…

Bamboche, se levant. — Tu me les aurais donnés ?

Rigolin. — Non, mais je ne les aurais pas mis dans l’affaire (A Gentillac.) Tout ça c’est pour te dire qu’on ne peut pas être mieux avec Fauconnet que je ne suis.

Il s’asseoit.

Gentillac, premier plan. — Eh bien, mon cher, puisque tu le connais, c’est lui, le Fauconnet qui m’a invité ! C’est pour lui que j’ai retenu ce cabinet… C’est même assez drôle, parce qu’hier encore, je ne le connaissais que de réputation ; ce matin je vais le voir pour lui proposer une affaire du plus grand avenir… Tiens, même, si tu veux mettre de l’argent dedans, tu sais, voilà une occasion.

Bamboche, bas à Rigolin. — Ne fais pas ça !…

Rigolin, à Gentillac. — Non, merci !

Gentillac. — Tu as tort, c’est une affaire qui fera révolution. J’ai trouvé le moyen de supprimer les rails dans les chemins de fer ; tu vois l’immense importance !… Abolition des lignes ferrées et possibilités de voyager sur toutes les routes. C’est merveilleux… Enfin, ça ne te dit pas, passons ! J’arrive donc chez Fauconnet, il me reçoit d’une façon charmante, je lui expose mon affaire, et, dans le courant de la conversation, nous arrivons à reconnaître que nous sommes deux anciens camarades de collège, alors tu vois ça d’ici ! Et avec le tutoiement, les souvernirs d’enfance, les : "Te rappelles-tu ceci ? Te rappelles-tu cela ? " Et, un tel, qu’est-ce qu’il est devenu ? Enfin tout ce qui se dit dans ses cas là… nous parlons de nos maîtresses… il m’apprend qu’il est marié à une femme charmante et fidèle, mais que ça ne l’empêche pas, à l’occasion, de courir la blonde et la brune, bref, comme c’est ce soir bal à l’Opéra…

Rigolin. — Tu as débauché cet homme marié.

Gentillac, premier plan. — Au contraire, voyons, ce sont toujours les hommes mariés qui vous débauchent, pas vrai, Emilie ?

Bamboche, deuxième plan, assise sur le bord de la table. — Je ne sais pas ; moi, ça été un adjudant du train !

Gentillac. — Ah !… (Rigolin se lève en riant et gagne la droite. Donnant une poignée de main à Emilie.) Tous mes compliments à l’adjudant du train ! (Allant à Rigolin.) Non, c’est Fauconnet qui m’a proposé de passer la soirée ensemble ; il a prétexté, auprès de sa femme, une