Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/240

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Fauconnet. — Parfaitement, et allez donc ! œil pour œil, dent pour dent !

Gentillac. — C’est la veuve du Talion !

Fauconnet. — Parfaitement !… Et je perdais une occasions pareille ?… Je trouverais une veuve qui veut faire une bêtise et je ne m’y associerais pas ?… Allons donc !… et d’abord je vais écrire immédiatement à ma femme !

Il va à la table.

Gentillac. — Pourquoi faire ?

Fauconnet. — Parce que je n’ai que la permission de deux heures… je vais demander une prolongation, j’ai un prétexte tout trouvé : la débâcle du Crédit hypothécaire… toute la haute banque est en l’air… Je ne sais à quelle heure finira notre séance de nuit… Je dis à ma femme de se coucher et de ne pas m’attendre… et le tour est joué.

Gentillac. — Voilà !

Fauconnet. — Ah ! ça a quelquefois du bon, les catastrophes financières !

Gentillac. — Qu’est-ce que tu cherches ?

Fauconnet, qui a tiré son portefeuille. — Une carte pour écrire à ma femme ! Là ! (Il écrit.) "Chérie, notre conseil d’administration menace de se prolonger fort avant dans la nuit à cause du krach du Crédit hypothécaire."

Gentillac, apportant un buvard qu’il a pris sur la cheminée. — Tiens, il y a des enveloppes là dedans !

Il en sort deux ou trois.

Fauconnet. — Merci ! (Ecrivant.) "Ne m’attends pas, couche-toi, je ne sais pas à quelle heure je rentrerai."

Gentillac. — Ah ! dis donc, tu ne sais pas qui j’ai vu tout à l’heure ? Quelqu’un que tu connais !

Fauconnet. — Qui ?

Gentillac. — Jules Rigolin !

Fauconnet. — Le petit Rigolin, je crois bien que je le connais… un très gentil garçon (écrivant) "Madame Fauconnet." (parlé) Je l’ai même intéressé une ou deux fois dans les affaires…

Gentillac. — C’est ce qu’il m’a dit !

Fauconnet. — Il avait la manie de la spéculation, un moment ; alors, qu’est-ce que tu veux, je me suis dit : il se fera fourrer dedans par un autre…

Gentillac. — Autant que ce soit moi !

Fauconnet, tout en écrivant, sans comprendre l’intention de Gentillac. — Oui !…

Gentillac, à part. — Je ne le lui fais pas dire !

Fauconnet, écrivant. — "17, rue de Choiseul."

Gentillac, haut. — Je n’ai pas osé prendre sur moi de le garder à souper avec nous…

Fauconnet. — Tu as eu tort… il fallait !…

Gentillac. — Le pauvre garçon n’avait rien fait retenir ici ; naturellement il n’a pas trouvé où se mettre, il est allé souper à la Maison d’Or !…

Fauconnet. — Mais il fallait lui dire de rester… J’aurais été enchanté !… Veux-tu que je lui écrive un mot ?…

Gentillac. — C’est qu’il n’est pas seul… il est avec sa maîtresse, une charmante enfant !