Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/83

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comprendre !… Je trouve le défaut de la cuirasse et je t’enlève ça tambour battant !…

Thommereux. — Ah ! Tais-toi ! Tiens, tais-toi !

Ribadier. — Non, mais dis tout de suite que tu te méfies de moi, que tu as peur que je te souffle ta Dulcinée !

Thommereux. — Moi, toi, oh !

Ribadier. — Je t’assure que ce n’est pas une coutume chez moi ! Il y a six ans que je t’ai supplanté auprès de Mimi Marjolin, c’est vrai… Mais Mimi Marjolin n’est-ce pas, une farceuse !

Thommereux. — Tu m’as supplanté, toi ?

Ribadier. — Comment, tu ne le savais pas ?

Thommereux. — Elle ne me l’a jamais dit !

Ribadier. — Ah ! Je croyais…

Thommereux. — Ah ! Mais dis donc, je la trouve mauvaise !

Ribadier. — Qu’est-ce que ça te fait, puisque tu n’es plus avec elle !

Thommereux. — Tiens ! Ça m’est désagréable ! Qu’est-ce que tu dirais, si après avoir bu un bon verre de quelque chose, on venait te dire : "Eh bien, maintenant, je peux bien vous l’avouer, le domestique avait craché dedans !" On a beau avoir fini de boire, c’est dégoûtant !

Ribadier. — Oh ! Bien, dis donc, je te remercie de ta comparaison !

Thommereux. — Non, c’est pour dire… (À part.) Ah ! Tu marchais sur mes plates-bandes, toi !… Ah ! Bien, si je peux, va…

Ribadier. — Alors, c’est entendu, tu me donnes ta procuration ?

Thommereux. — Mais tu es fou ? Tu es marié… d’abord ! Quand on est marié, on s’occupe de son ménage et pas d’autre chose !

Ribadier. — Napoléon dictait à deux secrétaires à la fois !

Thommereux. — Oui, mais tu n’es pas Napoléon, toi !… Ah çà !… Madame Ribadier… elle n’est pas jalouse ?

Ribadier. — Pas jalouse ! Elle ! Ah ! Dieu saint, vous l’entendez ! Mais elle aurait inventé la jalousie ! Ah ! Elle est bien gentille, mais elle me rend parfois la vie bien insupportable.

Thommereux. — Alors, tu n’es pas heureux ?

Ribadier. — Oh ! Ma foi, pas toujours !

Thommereux, à part. — Pas heureux !… Il n’est pas heureux ! C’est vrai que le malheur des uns fait le bonheur des autres !…

Ribadier. — Et dire qu’autrefois elle était si confiante… si crédule… enfin, puisque tu allais chez eux autrefois, Robineau a dû te le dire.

Thommereux. — Souvent !

Ribadier. — Dieu sait qu’il lui en a fait voir de toutes les couleurs ! Quand je dis : "il lui en a fait voir", il lui en a fait et il ne les lui a pas fait voir ! Ah ! bien oui, il a fallu que cet imbécile de Robineau…

Thommereux. — Ne dis pas imbécile ! Je l’aimais comme un frère !

Ribadier. — Soit ! Je ne dirai pas "imbécile", je dirai "ton frère".

Thommereux. — C’est ça !

Ribadier. — Il a fallu que "ton frère" Robineau laissât dans ses papiers un inventaire de tous les trucs qu’il employait pour tromper sa femme !

Thommereux. — Alors ?

Ribadier. — Eh ! Bien… alors, ça a ouvert les yeux d’Angèle sur le compte de Robineau et de tous les maris en général. Et ce qu’il y a