Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 2, 1948.djvu/96

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Savinet, serrant son carnet. — Voilà qui est fait ! Allons, monsieur, c’est convenu !…

Ribadier. — Parfaitement !

Savinet. — Si vous dites un mot, je vous tue !

Ribadier. — Hein ! Ah pardon ! Je n’y étais plus ! C’est convenu.

Savinet. — Toujours à vos ordres ! (Saluant.) Monsieur !…

Ribadier. — Mais pardon, je vous reconduis !

Il va ouvrir la porte du fond.

Savinet, prenant son chapeau. — Trop aimable !… (À part.) Mais c’est une femme du musée Grévin, cette femme-là !… (S’arrêtant devant le portrait de Robineau, haut.) Très joli, ce portrait, un Rubens !… C’est un de vos parents ?

Ribadier, redescendant un peu. — Ça, c’est le mari de ma femme !

Savinet. — Tiens ! Vous êtes deux ?

Ribadier. — Comment deux !… Mais non, c’est le premier mari !…

Savinet. — Ah ! C’est le… Vous n’êtes que le second… Oh ! bien, moi, je n’aimerais pas ça !

Ribadier. — Pourquoi donc ça ?

Savinet. — Tiens ! Parce que pour le second… C’est un peu comme le dîner des domestiques : ça a déjà passé à la table des maîtres.

Ribadier, sèchement. — Mon Dieu, monsieur, chacun dîne comme il peut. En tous cas j’aime encore mieux être à ma place qu’à la sienne.

Il descend.

Savinet. — Des goûts et des couleurs…

Ribadier, à part. — En voilà un malotru…

Savinet, touchant du doigt la figure d’Angèle, à part. — Elle est vraie !… (Haut.) Allons, monsieur…

Ribadier, retournant près de la porte. — Tenez, monsieur, par ici !…

Savinet. — Parfaitement. Dites donc, elle a le sommeil rudement dur, votre femme ! (En s’en allant.) Et vous savez, si vous avez besoin, par hasard, d’un bon Pontet-Canet, j’aurais une excellente occasion.

Ils disparaissent.

Scène 4

Angèle seule, puis Ribadier

Angèle, arpentant rageusement la scène. — Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! La canaille ! Oh ! La canaille ! Ah ! je ne sais pas comment j’ai fait pour me contenir jusqu’à présent ! Comment je ne l’ai pas étranglé dix fois ! Oh ! la canaille ! Oh ! la canaille ! Ah ! ça me fait du bien de m’épancher !… Le voilà donc, son marchand de tabac… C’était la femme de cet imbécile… qui lui vend du cognac… Il sera exécrable son cognac ! Evidemment, il profitera de la situation pour lui écouler ses alcools les plus avariés… mais ce sera bien fait… et je le forcerai à l’avaler jusqu’à la dernière goutte, son cognac… Ah ! tu vas voir de quel bois je me chauffe, mon bonhomme ! (Elle est à ce moment près de la cheminée. Voyant son mari qui revient.) Lui !

Ribadier, entrant du fond, ravi. — Oui, au revoir, monsieur, au revoir ! Ah ! le bon type ! Si vous dites un mot, je vous tuerai ! (Tout joyeux, il se met à chantonner.) Tararaboum de hay… Je vais la réveiller !

Il se dirige vers le fauteuil.