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Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 3, 1948.djvu/18

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Boriquet. — Il faudra que j’en parle au docteur… (A Justin.) C’est bien, Justin, laissez-nous ! Vous servirez dès que ce sera prêt.

Justin sort.

Francine. — Le docteur Valencourt et sa fille ne déjeunent pas avec nous ?

Boriquet, il s’assied sur le canapé. — Non, tu sais ils ont passé la nuit en chemin de fer, alors le temps de s’arranger, de s’installer, ça nous aurait fait déjeuner trop tard… ils ont préféré manger un morceau au buffet de la gare. Ils arriveront tout à l’heure…

Francine, émue, en lui tendant les mains. — Mon pauvre Gérard, va !

Boriquet. — Quoi ?

Francine, elle s’assied sur la chaise de droite. — Quand je pense que bientôt tu seras un homme marié, que tu auras un ménage, des enfants…

Boriquet, sur le canapé. — Eh bien ! ce sont les lois naturelles.

Francine. — Oui, mais qu’est-ce que je serai moi alors pour toi ?

Boriquet, avec élan. — Oh ! mais n’aie pas peur, tu seras toujours ma sœur !

Francine, très émue. — Oui n’est-ce pas !

Boriquet. — Je te promets !

Francine. — Ca n’empêche pas, va, que je suis très heureuse pour toi ! C’est un très joli mariage que tu vas faire là ! Mademoiselle Valencourt est charmante, c’est un excellent parti ! Son père est un médecin des plus distingués.

Boriquet. — VaIencourt, je crois bien ! une des gloires de l’École de Nancy, un des protagonistes les plus triomphants du magnétisme appliqué à la médecine, la guérison par suggestion ! Il est très fort.

Francine. — Qui, il paraît que ce n’est pas de la plaisanterie ! Moi, je ne sais pas, je me demande comment on peut endormir les gens rien qu’en les regardant.

Boriquet. — Mais, ma chère amie, ça dépend des natures, tout ça, il faut des tempéraments faibles, nerveux… évidemment moi parbleu, on ne m’endormirait pas…

Francine. — Je pense bien. C’est égal, je demanderai au docteur de me faire assister une fois à des expériences.

Boriquet. — Après mon mariage, si tu veux.

Francine. — Mon pauvre chéri, je crois bien !… Mais ça va aller rondement… puisque tout est décidé en principe et que le docteur ne vient à Paris que pour vous fiancer officiellement.

Boriquet. — Et je n’en suis pas fâché, parce que vois-tu, si on ne se marie pas à mon âge, après, il est trop tard… Le mariage, vois-tu Francine…

A ce moment, la pendule sonne midi. Le visage de Boriquet change d’expression, le regard devient fixe comme celui d’une personne sous l’influence de l’hypnotisme.

Francine. — Tiens midi ! (A Boriquet.) Tu disais ?…

(Apercevant le visage de Boriquet.) Ah ! mon Dieu, qu’est-ce que tu as ?… (Boriquet ne répond pas.) Gérard