Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 5, 1948.djvu/188

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Madame Grosbois, qui attendait sur la terrasse avec Gabrielle. — Eh ! bien, vous qui me reprochiez de vous faire attendre !…

Le Brison. — Vous avez raison. (A Chatel-Tarraut.) Qu’est-ce que vous faites, maintenant ?

Chatel-Tarraut. — Je rentre.

Le Brison. — A âne ?

Chatel-Tarraut. — Qu’est-ce que vous voulez, à âne ! Trois kilomètres. Je risque une insolation.

Le Brison. — Nous avons l’auto, nous allons vous jeter.

Chatel-Tarraut. — Ah ! non, par exemple !

Le Brison. — Mais si, voyons. Vous verrez que vous aimerez ça !

Madame Grosbois. — C’est ça, oui !… en auto !… en auto !…

Chatel-Tarraut. — Mais non !… main non !…

Le Brison. — Allez ! allez ! ne dites pas non !

Chatel-Tarraut. — Voulez-vous me laisser !… Voulez-vous me laisser !

Le Brison. — Mais, sacristi ! De quoi avez-vous peur ?

Chatel-Tarraut. — Non, non ! Ces machines avec lesquelles on se casse la figure !

Le Brison. — Mais où ça ?… Quoi !… Voilà dix ans que j’en fais, et il ne m’est jamais rien arrivé.

Chatel-Tarraut. — Non, je ne veux pas.

Tous. — Mais pourquoi ?

Chatel-Tarraut. — Parce que ça me dégoûte ! Parce que je n’aime pas ça !

Le Brison. — Mais, sacristi ! en avez-vous goûté ?

Chatel-Tarraut. — Jamais !

Le Brison. — Eh ! bien alors, vous n’avez pas le droit de dire que vous n’aimez pas ça ! C’est comme ces gens qui déclarent détester les grenouilles, parce qu’ils n’en ont jamais mangé !… Eh ! bien, mangez-en d’abord, vous les détesterez après.

Chatel-Tarraut. — Non, non et non !

Le Brison. — Allons, allons, il ne sera pas dit que je vous aurai là, et que je n’aurai pas essayé de vous convertir. Avant ce soir, vous serez un chauffeur enragé.

Chatel-Tarraut. — Non, non… laissez-moi !

Le Brison. — Allez, mesdames, à mon aide !

Chatel-Tarraut. — Non, non, voyons !… D’abord, vous n’avez pas de place.

Madame Grosbois. — Ça ne fait rien. On se serrera.

Chatel-Tarraut. — Votre auto est pour quatre. Avec le mécanicien, vous êtes au complet.

Le Brison. — Ne vous inquiétez pas. Madame restera.

Madame Grosbois. — Hein ?

Le Brison. — Vous êtes déjà sortie ce matin ! Vous pouvez céder votre place.

Madame Grosbois. — C’est dégoûtant !

Le Brison. — Vous voyez, Madame Grosbois se sacrifie avec joie. Allez ! venez ! venez !

Gabrielle. — Venez, monsieur de Chatel-Tarraut !

Chatel-Tarraut, entraîné. — Je vous en prie, non !

Le Brison. — Vous adorerez ça ! Et c’est vous, maintenant, qui allez épouvanter les chevaux. Vous verrez comme le point de vue change !