Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 5, 1948.djvu/196

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Phèdre. — Ah ?… eh bien ! au moins, je ne vous apprends rien.

Etienne. — Hein ? Oh ! patronne, non !… ce n’est pas ce que… non, je…

Phèdre, souriant. — Mais oui ! mais oui ! ça va bien !

Etienne. — Mais pas mal, merci ! et vous aussi, patronne ?

Phèdre. — Quoi ?

Etienne. — Le pied.

Phèdre. — Quel pied ?

Etienne. — Le pied ! ça va mieux, le pied ?

Phèdre, s’asseyant sur le canapé. — Hein ?… ah ! le… oh ! comme ça ! c’est moins aigu, mais quand on y touche !… tenez, c’est là !…

Etienne. — Ah ! oui ?

Phèdre. — Vous pouvez tâter, vous savez.

Etienne. — Ah !

Phèdre, lui prenant le doigt et l’appuyant sur la cheville. — Oui, là !… (Poussant un petit cri.) ah !… sentez-vous ?

Etienne. — Non, pas moi.

Phèdre. -Mais si, voyons !… tenez la cheville, là, entre le pouce l’index.

Etienne. — Entre le p…

Phèdre, lui faisant prendre sa cheville. — Oui, comme ça. Sentez-vous l’enflure ?

Etienne. — Heu ! heu !

Phèdre. — Non ? mais naturellement, vous êtes debout. Comment voulez-vous que debout on sente !… Asseyez-vous.

Etienne. — C’est que…

Phèdre. — Quoi ? Vous avez bien une minute. Vous n’avez rien à faire !

Etienne. — Evidemment, mais…

Phèdre. — Mais quoi ?

Etienne. — On a beau n’avoir rien à faire, il y a des moments où il vaudrait mieux s’en aller.

Phèdre. — Oui ? Eh bien ! tout à l’heure !… tenez, asseyez-vous devant moi, sur ce tabouret. (Il obéit.) Là !… et en comparant les deux chevilles, vous pourrez vous rendre compte…

Elle met son autre jambe sur l’autre genou d’Etienne.

Etienne, très troublé. — Mais, patronne…

Phèdre. — Touchez ! touchez ! n’ayez pas peur… Sentez-vous la différence ?

Etienne. — C’est bien peu sensible.

Phèdre, reprenant sa première position. — Parce que vous ne frottez pas ! mais frottez, frottez doucement ! vous sentirez sous la main le vallonnement… Eh bien ?

Etienne, sans conviction. — Oui, un peu.

Phèdre, qui a posé sa main sur la sienne. — Vous avez la main chaude.

Etienne, voulant la retirer. — Ah ! pardon !

Phèdre, le retenant. — Oh mais laissez ! Je ne dis pas ça pour que vous la retiriez. Au contraire ! vous frottez si bien !…

Etienne. — C’est que, patronne, si on entrait…

Phèdre. — Eh ! bien, quoi ! le massage n’est pas interdit.

Etienne, tout en massant. — Oh ! je sais bien qu’on ne fait pas de mal. Mais pour les gens mal intentionnés, on fait le bien, ils y voient du mal.

Phèdre. — Ne vous occupez pas du monde, vous avez votre conscience. Ah ! c’est ça !… c’est ça !… un peu plus haut, voulez-vous ?… Ah ! c’est bien.