Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 5, 1948.djvu/207

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Phèdre. — Mais qui te parle de ça ! Est-ce que je te dis : "je t’offre la bague ? " Non ! je le sais bien que tu ne peux pas accepter.

Etienne. — Eh ! bien, alors…

Phèdre. — Eh ! bien, alors… On ne peut arranger ça que par un échange… On fait comme les nègres. Donne-moi d’quoi que t’as, je te donnerai d’quoi qu’jai.

Etienne. — Ah !

Phèdre. — Mais oui, quand un blanc fait une affaire avec un nègre, il lui demande de l’or, de l’ivoire, du café… Et qu’est-ce qu’il lui offre en échange ? De la verroterie, des boîtes à musique.

Etienne. — Oui. Il le f… dedans.

Phèdre. — Oui, s’il peut.

Etienne. — Oui… Eh ! bien, écoutez, patronne, une pierre en vaut une autre, n’est-ce pas. J’ai une vieille topaze qui me vient de ma mère…

Phèdre. — Oui, tu peux la garder.

Etienne. — Mais quoi, alors quoi ? Je ne vois pas, moi.

Phèdre. — Tu ne vois pas ?… tu ne vois pas ce que je veux, c’est une compensation.

Etienne. — Mais, oui, voilà !… c’est pour ça que ma topaze…

Phèdre. — Eh ! ta topaze…

Etienne. — Elle est belle, vous savez.

Phèdre, haussant les épaules. — Ben, oui.

Etienne. — Toute jaune et grosse !

Phèdre. — Mais quand elle serait grosse comme ta tête…

Etienne. — Non. Elle n’est pas aussi grosse.

Phèdre. -… Ca me serait égal. C’est ta tête que je veux, comme dans Salomé.

Etienne. — Ah !…

Phèdre. — Ce que je veux, c’est un peu de l’amour de l’homme que j’aime… C’est toi, c’est ton physique, c’est ta moustache, c’est tes bras musclés. Voilà ma compensation !

Etienne. — Il est évident que si vous trouvez que c’est une compensation !

Phèdre. — Et regarde alors comme ça s’arrange : tu n’as plus de scrupules à avoir, tu n’es plus un homme qui accepte un cadeau d’une femme !

Etienne. — Non ?

Phèdre. — Mais non, entre deux amants, tout est commun, on n’est plus… à deux qu’un seul être.

Etienne. — Ce qui me plaît là-dedans, c’est que ça n’est plus une situation louche.

Phèdre. — La situation est devenue tout à fait nette.

Etienne. — Oui, seulement, voilà ! Il y a ma femme !

Phèdre. — Ah ! laisse-nous tranquilles avec ta femme ! elle a ma bague.

Etienne. — Oui, ça c’est vrai. Mais elle a l’œil. Si elle apprend, si elle nous pince !…

Phèdre, faisant jouer le truc de la porte. — Si elle nous pince ? Eh ! bien qu’elle vienne donc nous pincer là-dedans.

Etienne. — Ah ! qu’est-ce que c’est que ça ?

Phèdre. — Entre ! Tu verras bien !

Etienne. — Oh ! que c’est noir !

Phèdre, prenant une lampe sur le piano. — N’aie pas peur, va, je suis là.