Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 6, 1948.djvu/235

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Chloé salue.

Paulette. — Bonjour, madame Raclure ; Isidore m’a dit que vous étiez libre en ce moment, vos maîtres étant en voyage, et que vous consentiriez à venir en journée chez moi en attendant que je trouve une cuisinière.

Chloé. — Mais oui, madame. Isidore m’a touché deux mots. Ça va.

Paulette. — Vous faites bien la cuisine ?…

Chloé, riant, à Isidore. — Ehé ! dis donc ! Madame qui demande si je fais bien la cuisine ! Oui, madame je fais bien la cuisine.

Paulette. — Je vous demande pardon, je n’ai pas voulu vous offenser.

Serge. — C’est une artiste.

Chloé. — Oh ! y a pas d’offense ! Je regrette que Madame ne puisse pas demander à mes maîtres ; mais Madame ne doit pas les connaître, c’est des gens du monde.

Serge, à part. — Oh ! un rien.

Paulette, riant. — Non, mais si c’est une façon de me dire que je n’en suis pas.

Chloé. — Hein ! Oh ! non, madame, seulement il y a gens du monde et gens du monde ! Des gens du monde, nous en sommes tous, mais tous ne se connaissent pas, comme on dit.

Paulette. — Ah ! bon !

Isidore. — Pèse tes mots, Chloé, je t’en prie, pèse tes mots.

Paulette. — Ah ! elle s’appelle Chloé ?

Chloé. — Oui, madame.

Paulette. — Et, dites-moi, la place où vous êtes vous agrée ?

Chloé. — Me quoi ?

Paulette. — Vous agrée, vous plaît ?

Chloé. — Pourquoi Madame me demande ça ?

Paulette. — Bien, je ne sais pas… parce que si votre cuisine me convient… eh ! bien, je vous garderai peut-être.

Chloé. — Oh ! ça non, Madame. Non, je ne veux pas d’une place avec mon mari.

Paulette. — Allons donc !

Chloé. — Oh ! Madame ne sait pas ce que c’est que d’avoir tout le temps son mari sur le dos…

Isidore. — Mais dis donc, je ne tiens pas plus que ça à t’avoir.

Chloé. — Justement, chacun sa place, on est plus libre,… sans compter qu’alors, quand on est en ménage, on vous donne la même chambre, et puis, va te promener, un gosse est bientôt fait !

Isidore. — Laisse-moi donc tranquille, est-ce que tu crois que…

Chloé. — Oui, oui, on dit ça devant les maîtres, et puis une fois au pieu, je la connais. Eh ! bien, non merci ! comme si le salé devait venir, c’est pas toi, probable, mais moi qui aurais la corvée… Bien obligée !…

Isidore. — Je demande pardon à Madame.

Chloé. — On n’est pas mariés pour ça. C’est des luxes pour les gens riches.

Isidore. — Ce qu’il faut entendre, mon Dieu !

On sonne.

Chloé. — Oui, tiens ! on sonne ; va donc ouvrir.

Isidore. — Je te remercie ! je sais ce que j’ai à faire.

Il sort.

Chloé, à Paulette. — Il est furieux ! ah ! les hommes, madame !

Serge. — Mais permettez, madame Raclure !