Fourrageot, se retournant. — Qu’est-ce que c’est que ça ?
Chamel, même jeu. — La ! la ! la ! la !
Fourrageot, apercevant Chamel, allant lentement à lui, ce qui n’interrompt pas le chant de Chamel, et se campant devant lui. — Mais, c’est un réserviste ! Eh bien ! dites donc ! Qu’est-ce que vous faites-là ?
Chamel, sur le banc. — Moussié !
Fourrageot. — Monsieur ! Il m’appelle monsieur ! Qu’est-ce que vous dites ? À qui croyez-vous parler, hein ? à qui croyez-vous parler ?
Chamel. — Moussié !
Fourrageot. — Dites donc ! est-ce que vous êtes sourd ? c’est à moi que vous dites : "Moussié" ?
Chamel. — Oui, Moussié.
Fourrageot. — Ah çà ! espèce de lourdaud, est-ce que vous allez continuer sur ce ton-là ?
Chamel. — Qu’est-ce que c’est que cet hôme-là ?
Fourrageot. — Eh puis debout ! Où avez-vous vu un homme rester couché devant son commandant ? Allons, debout et avancez ! (Chamel hausse les épaules, se recouche et reprend son chant. Fourrageot, furieux, le prenant au collet et le faisant descendre à droite au n° 2.)' — Ah ! mais ! debout donc !
Chamel. — Dites donc !… vous n’allez pas me laisser tranquille ?
Fourrageot. — Qu’est-ce que vous dites ? Vous savez que je vais vous fourrer en prison, moi !
Chamel. — Tites donc pas de bêtises.
Fourrageot. — Vous n’êtes plus à la campagne, espèce de paysan ! Vous voulez faire la forte tête, ici ? Vous ne me connaissez pas, je vous materai, moi !
Chamel. — Non, écoutez donc ! Che vais vous dire.
Tout en parlant, il lui enlève une peluche de son dolman.
Fourrageot. — Mains dans le rang !
Il lui donne une tape sur la main.
Chamel, passant au n° 1. — Ah ! mais dites donc ! Est-il brutal ! il n’y a pas moyen de causer avec vous ! vous ragez tout le temps !
Fourrageot, appelant, — Sergent ! Qu’est-ce que c’est que cet homme-là ?
Bélouette, qui est arrivé aussitôt de droite, deuxième plan et descendant au n° 3. — Je ne sais pas, mon Commandant !… Ça doit être un réserviste arrivé de ce matin.
Fourrageot. — Ah ! c’est ça !… Il n’a jamais dû être militaire cet homme-là ! Vous n’avez jamais été militaire ?
Chamel. — Non, chamais. Je suis Suisse.
Fourrageot. — Portier ! ça ne m’étonne pas ! Comment vous appelez-vous ?
Chamel. — Chamel !
Fourrageot. — Vous marquerez quatre jours de salle de police à Chamel.
Chamel. — À moi !
Fourrageot. — Vous allez dire à un caporal de prendre cet homme-là et de lui lire pendant une heure la théorie sur les marques extérieures de respect.
Bélouette. — Oui, mon Commandant !
Le Commandant se dirige vers la baraque.
Fourrageot. — Vous ne me connaissez pas, mon gaillard, je vous materai.
Le Commandant entre en grommelant dans la chambrée.