Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 8, 1948.djvu/109

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Plumarel. — Mais vous ne la trouviez pas trop jeune tout à l’heure ?

Paginet. — Je ne la trouvais pas… je ne la trouvais pas… parce que je ne m’en étais pas aperçu.

Plumarel. — Mais alors, quand ?

Paginet. — Plus tard,… quand elle sera grande !… Enfin, quel âge avez-vous donc ?

Plumarel. — Mais, monsieur, j’ai 28 ans.

Paginet. — Eh ! bien, vous ne pouvez pas attendre que vous en ayez 30, elle en aura 20 ? Il faut toujours qu’il y ait dix ans de différence entre les époux.

Plumarel. — Eh bien ! monsieur, de 18 à 28.

Paginet, interloqué. — Hein ? de… Ah ! oui !… mais ce n’est pas du tout la même chose. Ce ne sont pas les mêmes dix ans.

Plumarel. — C’est bien, monsieur, je vois que c’est une fin de non-recevoir.

Paginet. — Mais pas du tout !

Plumarel. — Je vous avouerai que je ne m’attendais pas à cela. Je croyais qu’après toutes mes démarches pour vous faire décorer !

Paginet, s’étalant bien. — Ah ! là !… C’est ça, dites-le donc !… Je m’y attendais. C’est vous, n’est-ce pas ?… C’est vous seul qui m’avez fait décorer !…

Plumarel. — Mais, monsieur.

Paginet. — Il y a longtemps qu’il pesait sur votre langue, ce mot-là. Enfin il est sorti, n’est-ce pas, il est sorti.

Plumarel. — Mais je vous assure.

Paginet. — Oui, oui… c’est entendu !… c’est monsieur qui a tout fait !… c’est monsieur !… J’ai travaillé toute ma vie !… j’ai su mériter tous les titres !… mais c’est monsieur. Il y a dix ans que tous les ministres me portent.

Plumarel. — Mais je vous répète que vous vous méprenez sur le sens de mes paroles.

Paginet. — Allons donc ! D’ailleurs, il suffit de vous regarder, de voir vos petits airs de protection !…

Plumarel. — Moi ?

Paginet. — Oui, vous vous promenez en disant : "Savez-vous pourquoi Paginet me donne sa nièce ? Parce que je l’ai fait décorer."

Plumarel. — Moi, j’ai dit ça ?

Paginet. — Vous le dites du regard, ça suffit. Eh bien ! non ; monsieur Paginet ne vous donnera pas sa nièce !… puisque vous l’avez fait décorer ! il ne vous la donnera pas.

Plumarel. — Ah !

Paginet, avec conviction. — Ah ! je savais bien que j’avais affaire à un ingrat !

Scène XIII

Les Mêmes, Madame Paginet

Madame Paginet, venant de gauche. — Qu’est-ce qu’il y a ?

Plumarel. — Il y a que, maintenant, monsieur Paginet me refuse sa nièce.

Madame Paginet. — Comment ? Ce n’est pas possible… après ce qu’il a fait pour toi !