Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 8, 1948.djvu/204

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récepteur.) Eh bien ! nous sommes bien ! pas plus de roi que dans mon œil !… Une majesté ne s’égare pourtant pas comme un parapluie.

Le Duc, entrant de gauche l’air ravi, une dépêche à la main. Il descend à gauche de la scène. — Ah ! Bérézin, mon ami

Bérézin, allant à lui. — Excellence ?

Le Duc. — Lisez la dépêche que je viens de recevoir.

Bérézin. — Bonne ?

Le Duc. — Admirable ! Somptueuse ! Le roi, mon cher, le roi est retrouvé.

Bérézin. — Est-ce possible ?

Le Duc. — Cela est ! Ah ! comme je respire… (Tendant la dépêche.) Tenez, voyez.

Bérézin, prenant la dépêche. — Pardon (Lisant.) "Confidentiel". "J’ai l’honneur d’aviser Votre Excellence que Sa Majesté Serge III est saine et sauve sous mon toit…" (Tous deux se regardent et poussent un soupir de soulagement ; reprenant sa lecture :) "… où elle repose d’un sommeil réparateur. Si j’ai cru devoir ainsi me permettre de recueillir Sa Majesté chez moi, c’est que j’ai eu l’honneur de la rencontrer dans un tel état d’ébriété…" (Parlé, s’inclinant avec un sourire.) Ah !

Le Duc, avec une dignité superbe. — La tradition, mon cher ! Un roi doit savoir boire.

Bérézin, s’incline en matière d’acquiescement, puis poursuivant : "Sa Majesté daignait être tellement. (Répétant comme un homme qui ne peut lire le mot suivant)… tellement ?…

Le Duc, très simplement. — Soûle.

Bérézin. -… "Soûle". Oui ! Oui ! "que l’intérêt de sa sécurité, comme aussi de sa dignité royale me recommandait cette mesure. Une nuit aura vite fait de dissiper ses augustes vapeurs et j’aurai dès lors l’honneur de ramener demain Sa Majesté à Son Excellence. J’ai l’honneur d’être, de Votre Excellence, le respectueux serviteur. Loustalin, inspecteur de la Sûreté, 7, rue Gît-le-Cœur, Paris."

Le Duc, avec conviction. — Le brave homme ! Que lui dois-je ?

Bérézin, se méprenant. — Hein ! Pour ça ?… Oh ! je crois qu’en lui donnant…

Le Duc - Non, je parle moralement…

Bérézin. — Ah ! "que ne lui dois-je pas", alors !

Le Duc. — Si vous voulez !… Songez donc, cher ami, moi qui craignais déjà pour la vie de Sa Majesté ! Elle n’était que pleine ! Dieu soit béni !

Bérézin. — Eh bien ! il n’était que temps !… Le Préfet en était déjà à donner sa langue au chat.

Le Duc, le regarde, puis. — Quel chat ?

Bérézin. — C’est une expression pour dire que l’on renonce.

Le Duc. — Ah ! très parisien ! Oui ; mais ce n’est pas tout cela, il s’agit d’agir. Ce n’est donc pas demain qu’il faut que l’on ramène Sa Majesté, c’est une fois tout de suite. Bérézin, je vous en prie, rendez-moi ce service,

Bérézin. — A vos ordres, Excellence.

Le Duc. — Je vais vous faire donner un des uniformes du roi, vous prendrez le landau de Sa Majesté et vous galoperez jusque chez ce Loustalin. Brave homme ! Vous prierez Sa Majesté d’endosser l’uniforme et dare-dare, Sa Majesté et vous… (Apercevant Arnold dans la salle du fond qui donne des indications au personnel et remontant un peu.) Maître d’hôtel !… hep !…

Il redescend à gauche, sans attendre la réponse d’Arnold.