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Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 8, 1948.djvu/84

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Plumarel. — Dardillon !… Eh bien ! à qui en as-tu ?

Dardillon. — Aux lapins !… Il y a des lapins là-dedans… pour les expériences du docteur. Alors, je leur donnais de la salade ! pauvres petites bêtes ! Ah ! c’est égal, si je m’attendais à te retrouver !

Plumarel. — Et moi donc !

Dardillon. — M’as-tu assez embêté au collège ?… Il n’y avait qu’à moi que tu flanquais des roulées.

Plumarel. — Tous les autres étaient plus forts que moi ! et puis enfin, je peux te le dire maintenant, tu avais un fichu défaut, tu étais d’un cafard !…

Dardillon. — Je n’étais pas cafard, j’aimais à raconter, voilà tout. Mais, dis-moi donc, il paraît que tu es très bien dans la maison ?

Plumarel. — Oh ! comme ça !

Dardillon. — Si ! si !… du reste, c’est assez naturel,… tu fais décorer le mari,… tu fleuris la femme,… tu es la providence de la famille.

Plumarel. — Qu’est-ce que tu veux ? Ils me sont tous très sympathiques, ces gens-là.

Dardillon. — Oui, la jeune fille surtout.

Plumarel. — La jeune fille ?… qui t’a dit cela ?

Dardillon. — Mon petit doigt.

Plumarel. — Eh bien ! puisque tu le sais, je ne te cacherai pas que je compte bien être avant peu l’heureux époux de Mademoiselle Paginet nièce.

Dardillon. — Tous mes compliments !… Et alors, elle t’aime, Mademoiselle Paginet nièce ?

Plumarel. — Je ne sais pas.

Dardillon. — Ah ! bon !…

Plumarel. — Pourquoi dis-tu : "Ah ! bon ?"

Dardillon. — Non ! je dis : "Ah ! bon !" parce qu’il y a des gens quelquefois qui, avant de faire leur demande, s’inquiètent de savoir s’ils sont aimés.

Plumarel. — Ah ! bien ! je ne suis pas de cette école-là. Le principal, pour moi, est d’être agréé.

Dardillon. — Alors, tu ne t’es jamais déclaré à Mademoiselle Paginet ?

Plumarel. — Jamais ! c’est là ma force ! Comprends donc ! Qu’est-ce qui arrive neuf fois sur dix ?… Un jeune homme entre dans une maison, il remarque la jeune fille, se montre empressé envers elle, la famille s’inquiète ! Il va compromettre ma fille ! Et un beau jour on vous fait comprendre poliment que vos assiduités sont déplacées et qu’on fera bien dorénavant d’espacer ses visites et de rester chez soi.

Dardillon. — C’est vrai.

Plumarel. — Tandis que voilà un garçon qui pénètre dans une famille. La jeune fille est jolie,… il ne la regarde même pas. Mais pour les parents, tous les égards ! toutes les attentions ! peu à peu, il devient indispensable, le père est vaniteux ? on flatte sa vanité ; la mère est sur le retour ? on a pour elle toutes les prévenances, toutes les galanteries qu’on a pour une jeune femme, et alors, dans toute la maison, c’est comme un vent de sympathie qui souffle pour vous ; c’est un courant qui entraîne tout le monde, père, mère, parents, famille et finit par emporter cette jeune fille elle-même que vous n’avez plus qu’à cueillir gentiment au passage. Voilà, mon cher, toute ma politique.

Dardillon. — Oui !… alors, d’après toi, pour faire la cour à une jeune fille…