Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 8, 1948.djvu/86

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Livergin. — Enchanté, monsieur !… (À part.) Il me présente ses préparateurs parce que ça ne peut me servir à rien…

Paginet. — C’est monsieur… tu as dû lire ça dans les journaux…

Livergin. — C’est probable ! je lis tous les journaux !

Paginet. — Eh bien ! c’est monsieur qui a fait à Pasteur cette réponse désormais célèbre : "je ne croirai aux microbes que quand je les aurai vus à l’œil nu…"

Livergin. — Oh ! parfaitement, monsieur, j’ai lu.

Dardillon. — Oui !… (À part.) Ah bien ! elle est forte, celle-là !

Joseph, entrant du fond, effaré. — Monsieur, monsieur, il y a tous vos lapins qui se promènent dans l’appartement.

Paginet. — Mes lapins ?

Dardillon. — Ah ! mon Dieu ! j’ai oublié de fermer la cage.

Il se précipite dans le laboratoire.

Joseph. — Il y en a dans toutes les chambres.

Madame Paginet. — Mais il faut les rattraper.

Paginet, entraînant Livergin. — Oui !… viens ! … viens avec nous !

Livergin. — Mais tu m’ennuies avec tes lapins !… Va donc les rattraper tout seul.

Dardillon, au fond, traversant rapidement l’antichambre en poursuivant un lapin. — À vous, là ! À vous !

Paginet. — À nous ! à nous !

Il sort par le fond, suivi de Madame Paginet et de Joseph.

Scène XIII

Livergin, Madame Livergin

Livergin. — S’il n’est pas grotesque, avec sa chasse au lapin… en chambre !

Madame Livergin. — Le fait est qu’il a une façon de nous recevoir !…

Livergin. — Evidemment !… pour lui, nous sommes de petites gens ; parce que c’est médecin, ça méprise les pharmaciens.

Madame Livergin. — En somme, qu’est-ce qu’ils deviendraient, les médecins, sans les pharmaciens ?

Livergin. — Oui, je vous le demande ! Eh bien ! non… ça pose !… ça traite les gens par-dessous la jambe. Nous venons les voir… et ils vont chasser le lapin.

Madame Livergin. — C’est d’une impolitesse !

Livergin. — Et ce n’est rien maintenant !… Mais tu le verras si on le décore !… Ce qu’il fera le malin !

Madame Livergin. — Tu crois que vraiment il sera décoré ?

Livergin. — Parbleu !… il a remué tant de monde… Il a tellement intrigué… Ah ! c’est écœurant ! (Changement de ton.) À propos, tu as vu le ministre pour ma décoration ? Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

Madame Livergin. — Eh bien, avec la lettre d’audience que ton client le sénateur t’a fait obtenir, j’ai été reçue ce matin. Je lui ai dit que tu étais l’inventeur des pastilles Livergin et que nous serions bien heureux de te voir décoré.

Livergin. — Très bien ! Et qu’est-ce qu’il t’a dit ?

Madame Livergin. — Il a été charmant ! Il a souri et il m’a dit "Belle dame, vous avez un bien joli petit pied !"

Livergin. — C’est très galant. Et alors