Page:Feydeau - Théâtre complet IV (extraits), 1995.djvu/8

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Allons faire un tour par la ville
Et jetons l’or à pleine main…
Avec mon beau billet de mille ! "

Et me voilà, le cœur joyeux,
M’étalant dans mon importance,
Croyant qu’on peut voir dans mes yeux
Quel est l’état de mes finances.
Pour me réchauffer l’estomac,
J’entre acheter un bon manille
Chez la marchande de tabac,
Avec mon beau billet de mille !

Je choisis, je prends, je remets,
Je fais craquer tous les cigares
Avec cet air des fins gourmets
Méprisant les fumeurs barbares.
— Là ! mon choix est fait ! Payez-vous !
— Pas de monnaie ? — Ah ! quelle tuile !
Je ne puis donner quatre sous
Avec mon beau billet de mille !

"Ah ! bah ! me dis-je, allons toujours
Dîner, nous fumerons ensuite.
Et d’abord à nous les amours !
Je connais certaine petite ;
Courons l’inviter à dîner ! "
Chez Ninette aussitôt je file…
Comme on va gaîment festiner
Avec mon beau billet de mille !

Tous deux, bras dessus, bras dessous,
— Contrefaçon de l’hyménée, -
Nous partons comme deux époux,
L’âme d’amour tout imprégnée.
On se sent charitable et bon :
Un pauvre tend sa main débile ;
Je veux lui donner… quel guignon !
Rien que mon beau billet de mille !

"- Tu n’aurais pas deux sous sur toi ?
Fais-je à l’enfant, la moindre somme ?
— Je ne prends jamais rien sur moi,
Lorsque je sors avec un homme ! "