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adieu le mariage ! Perrette renversant sa cruche de lait n’était pas plus désespérée que moi.

Je ne sais pas comment mon travail se fit ce jour-là. J’étais d’une humeur massacrante et, qui plus est, je le laissais paraître. Mon chef me dit :

— Si vous étiez mariée, je croirais volontiers que vous venez de subir une scène de ménage. Quel visage pitoyable ! Un peu de cran, mademoiselle ! Si vous avez mal déjeuné, n’en faites supporter le contre-coup à personne.

J’essayai de sourire, mais cela ne dura pas. Je remâchais ma déception et je tapais sur ma machine, non avec des doigts, mais avec des marteaux furieux.

Peu à peu mon amertume se dissipa… et je repris un billet pour le tirage suivant. Le chiffre me plut, cette fois. C’était un beau 450.366 qui m’apportait le souvenir du double six des dominos de mon enfance. J’étais sûre de gagner.

Ah ! comme je relevais la tête ! Je marchais triomphalement et mes collègues, quand je m’assis devant ma table de travail, me jetèrent des regards intrigués. Je me sentais pleine de mansuétude, prête à toutes les indulgences. Mais je tus mon secret.

Les jours passèrent. Le moment du tirage de la loterie survint de nouveau. J’étais calme. Une sorte de pressentiment me donnait une impression de sécurité magnifique, et cependant, je faillis tomber évanouie quand je lus que j’étais la bénéficiaire du million convoité.

Où étaient mon calme, ma sérénité, ma philosophie ? Je piétinais dans mon studio comme un Esquimau dans son igloo, je poussais des cris canard sauvage, j’étouffais, j’exultais.

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