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l’ombre s’efface

être la fille de n’importe qui, je revendique la fierté légitime de n’être pas n’importe qui.

Après ce coup d’assommoir, je fermai les yeux pour signifier que j’étais lasse.

Mon mari le comprit ainsi et je ne descendis pas pour dîner. Jacques verrait ce qu’est une table solitaire.

Clarisse m’apporta un plateau garni auquel je fis un sort. Quand elle vint le rechercher, elle remarqua en riant :

— J’avais presque cru que Madame était malade, mais je vois que c’est une simple taquinerie à l’adresse de Monsieur. Il s’ennuie, le pauvre Monsieur. Antoine m’a même dit : « Monsieur croit sans doute Madame bien malade, parce qu’il a des larmes dans les yeux. »

Je fus bouleversée. Pourtant je différai encore mon pardon.

Mon sommeil fut excellent. J’avais entendu Jacques venir sur le seuil de ma chambre, mais, n’ayant pas bougé, il était reparti sur la pointe des pieds.

Quand je me réveillai j’étais toute disposée à l’indulgence. Je ne pensais plus à ce sot d’Hervé que je considérais toujours davantage comme un vrai déséquilibré. Je n’avais qu’une chose en tête : me réconcilier avec mon mari. Nous aurions un échange de pardons.

Clarisse vint, comme d’habitude, discuter du menu. Puis elle attendit que la jeune femme de chambre fût partie pour m’annoncer :

— Monsieur est absent pour la journée. Il ne reviendra que ce soir, assez tard.

Cette nouvelle était une massue qui me heurtait le crâne. Une épouvante s’empara de moi.

— Oh ! Clarisse ! Monsieur est fâché !…

— Je ne crois pas, parce qu’il m’a bien recommandé de soigner Madame et de lui dire qu’elle ne s’inquiète pas.

Je respirai. Je restai quelques minutes rêveuse, puis je songeai à remplir ma journée pour le mieux afin de tromper mon impatience. Je projetai, en premier lieu, d’écrire à l’abbé Humelot, ce vieil ami de toujours, à qui je confiais les péripéties de mon existence. Puis une autre suggestion me vint : celle d’aller chez Mme de Sesse. Il me semblait soudain qu’il me