Page:Fiel - L'ombre s'efface, 1955.pdf/54

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
l’ombre s’efface

aspirations et j’affectais le plus grand calme en écoutant ces appréciations que je jugeais erronées.

Je dis avec le plus de naturel que je pus :

— Ce qui empoisonne légèrement les rapports que nous avons avec M. Hervé, c’est qu’il paraît conserver assez de rancune contre mon mari. Comment peut-on en vouloir à Jacques qui souffre tant de l’accident survenu à sa sœur ? Ce n’est pas juste ! S’il est respon­sable en fait, il ne cesse de déplorer la fatalité qui a causé ce drame. Par moments son désespoir est telle­ment visible que mes efforts ne parviennent pas à chasser ses regrets.

— Hervé ne s’arrête qu’au résultat, et ne pense pas du tout aux remords douloureux qui hantent l’âme de notre jeune ami, prononça M. de Sesse.

— Cependant, ajouta sa femme, je crois qu’il a abandonné ses projets de vengeance. Il s’est bien adouci. Ah ! je me souviens de ces jours sombres où nous tentions, sa tante et moi, de tempérer sa colère. Pour ma part, j’y voyais plus de fureur que de désespoir.

— C’est un violent, déclara M. de Sesse.

Toutes ces paroles entraient en moi comme des dards. Cette rancune non assouvie se présentait sinistre à mon esprit. Je pensai soudain que M. de Sesse appréhendait quelque issue malheureuse à cette tragédie et que mon sort l’épouvantait.

Je m’adressai directement à lui :

— Je suis de l’avis de Mme de Sesse et je ne crois pas que M. Hervé entretienne des sentiments de vin­dicte aussi prononcés aujourd’hui. Je ne crains pas le pire, mais les allusions, les paroles aigres-douces sont un vrai cauchemar pour les relations. La situa­tion est délicate parce que M. de Gritte nous appelle, et son fils, par son attitude, nous repousse. Jacques est sincère, il voudrait regagner son ami.

J’énonçai ces paroles du bout des lèvres, car je savais ce qu’il en était. Il me semblait que j’avais tout un destin sur les épaules et que la tranquillité de mon mari était entre mes mains.

Tout à coup, il me vint que mon mariage si beau m’était lourd. J’allais le payer par quelque chose de terrible et d’imprévu. J’étais trop heureuse pour que cela durât. Je pressentais que le mal viendrait d’Hervé