Page:Fiel - L'ombre s'efface, 1955.pdf/56

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
54
l’ombre s’efface

— Que faites-vous de vos jours, jeune homme ?

— Je les bâille, comme a dit Chateaubriand.

— Ce n’est pas très enviable.

— Pour le public peut-être, mais nul ne peut savoir à quoi l’on peut penser durant un bâillement ! Les perspectives les plus merveilleuses s’ouvrent devant moi. C’est comme une théorie de jolies femmes qui s’avanceraient vers moi, et dont le choix serait à ma portée.

— Mais vous n’en choisissez aucune ! Par cette allégorie j’entends que vous ne vous arrêtez à aucun travail sérieux.

— Vous le croyez ! Mais vous ne pouvez vous ima­giner la ligne que je suis. Elle est hérissée de diffi­cultés et d’imprévus. J’aurai une lutte infernale à soutenir, sans être assuré de la réussite.

Je commençais à pâlir. Un malaise montait en moi, car je m’apercevais qu’Hervé procédait par méta­phores, mais qu’il visait un but. Les regards qu’il me lançait, tour à tour impérieux ou tendres, dominateurs ou câlins, m’apportaient un trouble plein de menaces. Je l’aurais craint, si je n’avais eu ma jeunesse pleine d’assurance et l’absolue conviction que je triompherais. Je voulais d’Hervé le serment qu’il ne se vengerait pas.

— Vous parlez par énigmes, mon cher, prononça M. de Sesse en riant. Expliquez-vous.

— Non ; il y a des actes qui demandent le silence, sans quoi leurs chances diminuent. Il me plaît assez d’avoir un secret ; cela donne du poids à un homme.

Un secret ! Je tressaillis en entendant ce mot. Hélas ! moi aussi, j’avais un secret : celui de ma naissance, et il ne me plaisait pas du tout d’en avoir un ; ma vie en était altérée. Je pouvais presque dire que j’en avais deux, parce que la menace d’Hervé résonnait toujours à mes oreilles.

Mme de Sesse dit en souriant :

— Auriez-vous besoin de poids ? N’avez-vous pas confiance en votre état actuel ?

— Il est toujours bon de s’imposer par une action qui vous mette en valeur, riposta-t-il.

— Alors, vous nous offrirez quelque chose d’héroïque, prononça M. de Sesse.

— Non, non ; je laisse ce genre aux idiots !