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l’ombre s’efface

rentes. Je souriais, en m’amusant de son imagination trépidante.

Enfin je l’arrêtai en disant :

— Mon mari me permettra-t-il de me rendre à votre soirée ?

— Quoi ! serait-il jaloux ?

— Je n’en sais rien, parce que je ne lui ai sans doute pas donné sujet de l’être.

— Alors, il est l’ennemi de ce genre de manifestations ? On l’a si peu vu depuis cet accident que je connais à peine sa vie de jeune homme. Quand il était enfant, je le voyais souvent avec mon neveu, mais depuis ces dernières années, on le savait quelque peu misanthrope. Cependant je crois qu’il sera heureux de vous produire ; on ne garde pas sous le boisseau un diamant tel que vous.

Me produire ! garder sous le boisseau ! que ces paroles sonnaient drôlement à mes oreilles ! Je n’avais fait que me montrer jusqu’alors, et j’étais loin d’être sous le boisseau ! Ce qui m’ahurissait, c’est qu’il se trouvait encore des personnes qui ne me connaissaient pas sous mon talent.

J’en avais presque le fou rire et je pensais que je plongerais mon aimable visiteuse dans la plus profonde stupéfaction si je lui avouais ma personnalité.

Je savais d’avance que mon mari ne serait pas satis­fait de me « produire » dans le monde. Malgré l’amour qu’il me vouait, je le jugeais chatouilleux sur le point d’honneur et il aurait eu trop peur d’être blessé par quelque réflexion sur mon compte. La révélation d’une situation anormale se répand comme la foudre. Il suffirait qu’un danseur écervelé dise : « Je connais cette jeune femme, mais oui, c’est bien elle : c’est la danseuse qui nous a charmés. Ah ! mon cher, quelle trouvaille ! elle a fait un riche mariage et elle le méritait… »

Ces phrases tournaient dans ma tête. Je les habillais élégamment, mais il était possible que celui qui les aurait proférées ne fût pas aussi louangeur.

Je crois que mon mari aurait eu raison de ne pas m’encourager. Nous étions heureux. J’avais de bonnes relations : Mmes Tamandy, Saint-Bart et de Sesse. Je pouvais compter aussi la jeune Mme Jourel, mais elle