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l’ombre s’efface

Je ne relevai pas ce terme quelque peu vulgaire et Clarisse reprit :

— Oui, je l’ai rencontré avec une donzelle, attifée de façon à faire loucher : robe rouge, chapeau à plume, pas de bas et talons comme des échasses. Il ne m’a pas vue, parce que la conversation devait être intéressante.

— Était-ce bien lui ? murmurai-je, en ayant l’air de douter.

— Madame pense bien que l’on reconnaît tout de suite M. Hervé ! Il n’y en a pas deux comme lui dans la ville, bien que ce soit Paris !

— Eh bien ! Clarisse, laissons-le à ses conquêtes. C’est un jeune homme. Il est libre et il se console, et c’est tant mieux !

— Oh ! nous n’avons rien à empêcher ! C’est simple­ ment pour prévenir que c’est perdre son temps que d’avoir pitié de lui ! termina Clarisse qui retourna à ses occupations.

Il me restait un sourire. Je comprenais pourquoi il paraissait soudain si détaché. Sa conquête l’absorbait et je jouissais de cette trêve. Avec son caractère impulsif, il repoussait toute idée de vengeance pour satisfaire un caprice.

Je ne lui en voulais pas. Tout au contraire cette circonstance me rassurait. Il me semblait que je pourrais respirer avec plus de liberté. Tout rentrait dans l’ordre pour moi. Je me blâmai d’avoir passé des heures dans l’inquiétude à cause de lui. Tout se dénouait naturellement et mon cher mari ne courait plus aucun risque.

Ce matin-là, vers onze heures, Hervé vint nous voir, à la surprise joyeuse de Jacques. Il n’était pas venu à la maison depuis des années.

— Quel bon vent t’amène, mon vieux ?

— Je viens t’apporter un message de la part de mon père. Voici des papiers que je n’ai garde de trouver intéressants, sans quoi mon pauvre papa me croirait féru, comme toi, de la science des vieilles pierres. Je préfère le moderne.

De nouveau, Hervé se montrait aimable et gai. Il causait avec Jacques d’une manière enjouée et vive, et tous deux prenaient plaisir à une conversation à laquelle ils ne s’attendaient pas.